DÉCLARATION du 25 juin 1867 de l'annexion à la France des trois provinces ouest de la basse Cochinchine (Vinh Long, Chau Doc, Ha Tien)

 

Depuis que le traité de 1862 a cédé à la France les trois provinces de Saïgon, Bien Hoa, My Tho, et que, pour don- ner une preuve éclatante de respect pour ce pacte, nous avons rendu au gouvernement du roi Tu Duc l'importante citadelle de Vinh Long, qui n'aurait dû rentrer sous son autorité qu'après l'apaisement complet des troubles suscités par lui dans nos nouvelles possessions, les trois provinces de la basse Cochinchine qui sont restées soumises à la domi- nation annamite n'ont cessé d'être le refuge de tous les mécontents, de tous les agitateurs, de tous les ennemis de

notre autorité. J'ai été plusieurs fois dans la nécessité d'appeler l'attention des représentants du gouvernement anna- mite sur les embarras qu'ils me créaient, sur la voie dangereuse dans laquelle ils s'engageaient, en accordant une tolé- rance coupable et peut-être des encouragements tacites à ces incorrigibles fauteurs de désordres qui, ne voulant pas accepter les bienfaits d'une administration équitable et pro- tectrice, s'efforçaient d'empêcher la masse des habitants pai- sibles de jouir des avantages que nous leur assurions.

Mes représentations, sous quelque forme que je les aie adressées, n'ont amené que des réponses évasives que j'ai dû considérer comme un aveu d'impuissance, ou comme un refus de me satisfaire.

En effet, je ne saurais être dupe de ces protestations de respect pour les traités, quand, depuis un an, j'ai eu tant d'occasions de constater, par des preuves irrécusables, la complicité de fonctionnaires investis de la confiance du gouvernement annamite avec les rebelles qui troublent le repos d'un royaume voisin placé sous notre protectorat.

Des brevets ont été délivrés à tous les chefs annamites qui, opposés à notre domination et par amour du désordre, du pillage, se sont ralliés à la cause d'un aventurier révolté contre son souverain. Ces chefs ont reçu des encouragements de toute espèce en armes, munitions, grades, distinctions honorifiques, argent, etc.. Approvisionnées par les canaux qui font communiquer le fleuve du Cambodge et le golfe du Siam, les capitales de deux de ces provinces, Ha Tien et Chau Doc, sont devenues les arsenaux, les dépôts de recrutement de l'insurrection permanente.

J'ai été forcé de déclarer le blocus de toutes les côtes du royaume du Cambodge, pour arrêter cette contrebande d'armes et de munitions de guerre.

En ne tenant aucun compte de mes avertissements réitérés, en ne donnant que des satisfactions dérisoires à mes réclamations les plus justes, le gouvernement annamite a violé l'une des clauses fondamentales du traité de 1862; il m'a donné le droit et imposé la nécessité, pour sauvegarder la tranquillité de nos provinces, de me charger de la police des siennes.

J'ai donc occupé les trois citadelles de Vinh Long, de Chau Doc et de Ha Tien, et substitué la domination de la France à celle du royaume d'Annam dans les trois provinces occidentales de la basse Cochinchine.

Cette annexion s'est faite pacifiquement : pas une violence n'a été commise, pas une goutte de sang n'a été versée, les propriétés privées ont été et seront respectées. L'accueil que nous avons reçu des populations est un témoignage éclatant du progrès de notre influence, de la puissance de notre politique. Elles n'ignorent pas plus la force de nos armes que les bienfaits et la prospérité croissante dont jouissent les habitants des trois provinces françaises.

Les mandarins ont vu se briser entre leurs mains ce vieil instrument de despotisme routinier ; ils ont compris que les sympathies, la confiance du peuple, se retiraient d'eux pour venir à nous, et qu'il fallait s'incliner devant le prestige qu'exercent sur les races intelligentes et trop longtemps opprimées la civilisation appuyée sur la religion, la justice et la force, c'est-à-dire sur le respect de tous les droits, la protection de tous les intérêts, la sympathie pour toutes les infortunes. Ils ont abdiqué entre nos mains, sans protesta- tion ni murmure, les rênes d'une administration impuissante à satisfaire les nouveaux besoins, les nouvelles aspirations que notre présence dans ces belles contrées a suscitées chez tous ceux qui ont compris les avantages attachés à notre administration et à ce glorieux titre de Français qu'ils seront fiers de porter.

Leurs désirs sont exaucés ; il n'y a plus à partir de ce jour qu'une autorité, qu'une administration dans la basse Cochinchine dont les provinces sont et resteront françaises.

Réunies en un seul faisceau, régies par les mêmes lois, administrées par les mêmes règles, soumises à des charges proportionnées à leurs ressources, ces honnêtes et labo- rieuses populations verront chaque jour se développer leur bien-être, leur prospérité, les fruits du travail et de l'intelligence garantis à chacun, les bienfaits de l'instruction mise à la portée de tous, et elles comprendront alors que nous sommes venus au milieu d'elles pour les affranchir de toutes les servitudes, leur ouvrir l'accès de tous les emplois et leur apporter tous les bienfaits de la civilisation.

Vinh Long, 25 juin 1867.

Le vice-amiral gouverneur et commandant en chef, DE LA GRANDIÈRE.

 

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