TRAITÉ conclu à Versailles entre la France et la Cochinchine, représentée par Mgr Pigneau de Béhaine, évêque d'Adran, le 28 novembre 1787

 

Traité d'alliance offensive et défensive entre la France et la Cochinchine.

Nguyen Anh, roi de Cochinchine, ayant été dépouillé de ses États, et se trouvant dans la nécessité d'employer la force des armes pour les recouvrer, a envoyé en France le sieur Pierre-Joseph-George Pigneau de Béhaine, évêque d'Adran, dans la vue de réclamer des secours et l'assistance de Sa Majesté le roi très chrétien; Sa dite Majesté, convaincue de la justice de la cause de ce prince et voulant lui donner une marque signalée de son amitié, comme de son amour pour la justice, s'est déterminée à accueillir favorablement la demande faite en son nom. En conséquence, elle a autorisé le sieur de Montmorin à discuter et arrêter avec le dit sieur évêque d'Adran, la nature, l'étendue et les conditions des secours à fournir ; et les plénipotentiaires, après s'être légitimés, savoir, le comte de Montmorin en communiquant son plein pouvoir, et l'évêque d'Adran en produisant le grand sceau du royaume de Cochinchine, ainsi qu'une délibération du grand conseil

du dit royaume, sont convenus des points et articles suivants:

Le roi très chrétien promet et s'engage de seconder de la manière la plus efficace les efforts que le roi de Cochin- chine est résolu de faire pour rentrer dans la possession et la jouissance de ses Etats ; pour cet effet Sa Majesté très chrétienne enverra incessamment sur les côtes de la Cochin- chine, à ses frais, quatre frégates avec un corps de troupes de 1.200 hommes d'infanterie, 200 hommes d'artillerie et 230 cafres. Ces troupes seront munies de tout leur attirail de guerre, et notamment d'une artillerie compétente de cam- pagne.

Le roi de Cochinchine, dans l'attente du service important que le roi très chrétien est disposé à lui rendre, lui cède éventuellement, ainsi qu'à la couronne de France, la pro priété absolue et la souveraineté de l'île formant le port principal de Cochinchine, appelé Hoïnan par les indigènes, et par les Européens Tourane ; et cette propriété et souveraineté seront incommutablement acquises dès l'instant où les troupes auront occupé l'île sus-mentionnée. Il est convenu, en outre, que le roi très chrétien aura, concurremment avec celui de la Cochinchine, la propriété du port susdit, et que les Français pourront faire sur le continent tous les établissements qu'ils jugeront utiles, tant pour leur navigation et leur commerce, que pour garder et caréner leurs vaisseaux, et pour en construire. Quant à la police du port, elle sera réglée sur les lieux par une convention particulière. Le roi aura aussi la propriété et la souveraineté de Poulo Condor.

Les sujets du roi très chrétien jouiront d'une entière liberté de commerce clans tous les états du roi de Cochin- chine, à l'exclusion de toutes les autres nations européennes. Ils pourront, pour cet effet, aller, venir, séjourner librement, sans obstacles et sans payer aucun droit quelconque pour leurs personnes, à condition toutefois qu'ils seront munis d'un passeport du commandant de l'île de Hoïnan. Ils pour- ront importer toutes les marchandises d'Europe et des autres parties du monde, à l'exception de celles qui sont défendues par les lois du pays. Ils pourront également importer toutes les denrées et marchandises du pays et des pays voisins sans aucune exception. Ils ne paieront d'autres droits d'entrée et de sortie que ceux qu'acquittent actuellement les naturels du pays, et les droits ne pourront être haussés en aucun cas, et sous quelque dénomination que ce puisse être.

Il est convenu de plus, qu'aucun bâtiment étranger, soit marchand, soit de guerre, ne sera admis dans les Etats du roi de Cochinchine que sous pavillon français.

Le gouvernement cochinchinois accordera aux sujets du roi très chrétien la protection la plus efficace pour la liberté et la sûreté tant de leurs personnes que de leurs biens, et, en cas de difficulté ou de contestation, il leur sera rendu la jus- tice la plus exacte et la plus prompte.

Dans le cas où le roi très chrétien serait attaqué ou me- nacé par quelque puissance que ce puisse être relativement à la jouissance des îles de Hoïnan et de Poulo Condor, et dans le cas où Sa Majesté très chrétienne serait en guerre avec quelque puissance soit asiatique, soit européenne, le roi de Cochinchine s'engage à lui donner des secours en sol- dats, matelots, vivres, vaisseaux et galères. Ces secours seront fournis trois mois après la réquisition, mais ils ne pourront être employés au-delà des îles Moluques et de la Sonde et du détroit de Malacca. Quant à leur entretien, il sera à la charge du souverain qui les fournira.

En échange de l'engagement énoncé dans l'article précédent, le roi très chrétien s'oblige d'assister le roi de la Cochinchine lorsqu'il sera troublé dans la possession de ses États. Ces secours seront proportionnés à la nécessité des circonstances. Cependant ils ne pourront, en aucun cas, excéder ceux énoncés dans le présent traité.

Le présent traité sera ratifié par les deux souverains contractants, et les ratifications seront échangées dans l'espace d'un an, ou plus tôt, si faire se peut.

PREMIERE ANNEXE AU TRAITE. — Conventions relatives à l'expédition de Cochinchine.

Sa Majesté très chrétienne s'oblige de fournir toutes les troupes demandées par le roi de Cochinchine et nécessaires pour le rétablir dans ses Etats. Ces troupes consistent- savoir : le régiment de l'île de France ou celui de Bourbon au complet ; 200 hommes d'artillerie, 250 cafres. Le tout commandé par les officiers attachés audit corps. Aucun étal- major, ni officier supérieur breveté ne sera placé à la suite de ladite expédition. -10 pièces d'artillerie de campagne depuis 1 jusqu'à 4 livres de balles; 2 pièces de 8 livres de

balles ; 4 obusiers ; tous les caissons et toutes les munitions de guerre nécessaires à chaque objet. De la toile propre à faire des tentes pour la quantité de soldats qui seront em- ployés à cette expédition. Mille fusils de rechange pour les troupes. Des vivres pour un au pour 2.000 personnes, à compter du jour de leur arrivée en Cochinchine.

Sa Majesté très chrétienne s'oblige, en outre, de fournir tous les bâtiments nécessaires pour le transport de cette expédition. Ils consistent dans les frégates l'Astrée, la Calypso, la Driade, la Méduse ; deux flûtes, le Mulet, le Dromadaire. On y joindrait deux ou trois bâtiments de transport, s'il était nécessaire.

Mgr l'évêque d'Adran, revêtu de tous les pouvoirs du roi de la Cochinchine et de son conseil, muni du grand sceau dudit empire qui lui a été donné par le roi pour ratifier tous les traités qu'il pourrait faire en France relativement aux intérêts de ses états, Mgr l'évêque d'Adran s'oblige : 1° de faire donner en toute propriété à Sa Majesté très chrétienne l'île qui forme le port principal de toute la Cochinchine, appelé par les Européens le port de Touron ou Tourane et par les Cochinchinois Hoïnan, pour y faire des établissements en la matière et forme qu'elle jugera le plus convenable pour le bien du service ; 2° il sera, de plus, accordé à la nation française, conjointement avec les Cochinchinois, la propriété dudit port, afin de pouvoir y construire, garder et caréner tous les vaisseaux qu'elle jugera convenable d'y entretenir; 3° la propriété de l'île de Poulo Condor; 4° la liberté de commerce dans tous les États du roi de Cochin- chine exclusivement à toutes les nations européennes; 5° tous les secours dont la France pourra avoir besoin en soldats, matelots, vivres, vaisseaux, galères, etc., toutes les fois que le roi de Cochinchine en sera requis et partout où besoin sera; bien entendu qu'on aura toujours égard à l'état des forces du roi de Cochinchine et à la situation de ses affaires ; 6° le roi de Cochinchine s'oblige de faire construire à ses frais pour remettre à Sa Majesté très chrétienne, en toute propriété, le même nombre de vaisseaux de la même qualité que ceux qui auront été employés à cette expédition, à raison d'un vaisseau par an, et ce, à compter du jour où le roi de Cochinchine aura été rétabli dans ses États.

DEUXIÈME PIÈCE ANNEXE

Quoique dans la convention signée aujourd'hui il ne soit, fait aucune mention des frais qu'occasionneront les établissements que Sa Majesté très chrétienne pourra former, soit dans les îles de Hoïnan et Poulo Condor, soit sur le continent du royaume de Cochinchine, le soussigné, en vertu de l'autorisation dont il est muni, déclare que le roi de Cochin- chine prendra à sa charge, soit par fournitures en nature, soit en argent d'après les évaluations qui en seront faites, les premiers frais de l'établissement à former pour la sûreté et la protection, tels que fortifications, casernes, hôpitaux, magasins, bâtiments militaires et logement du commandant.

Fait en double à Versailles, le 28 novembre 1787.

Signé : MONTMORIN,

PIGNEAU DE BÉHAINE 

 

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