DÉLIBÉRATION du conseil royal de la Cochinchine, accordant pleins pouvoirs à Monseigneur Pigneau de Béhaine pour demander secours à la France

 

Le Conseil ayant délibéré sur l'état présent des affaires publiques, il fut résolu :

I. Que les secours d'une puissance européenne devenant nécessaires pour rétablir le roi dans tous ses droits, Sa Majesté serait priée de remettre ses intérêts entre les mains du roi de France dont la puissance, la bonté et l'équité du gouvernement lui étaient connues, par préférence à toute autre nation européenne.

II. Que, pour commencer et terminer une négociation de cette importance, il serait proposé au roi de s'adresser à M. l'évêque d'Adran, français d'origine, dont toute la nation connaît depuis longtemps la prudence et l'amour du bien.

III. Que le roi le munirait de pouvoirs illimités, pour, au nom de Sa Majesté, demander à la Cour de France les secours nécessaires, et prendre avec elle les arrangements les plus convenables et les plus propres à procurer l'avan- tage des deux nations intéressées.

IV. Que, pour assurer ladite Cour de France de la droiture de ses intentions, ledit seigneur roi serait prié de con- sentir à remettre entre les mains dudit prélat français le prince royal, son fils unique et héritier de ses Etats, s'en rapportant à ses soins pour l'éducation d'un prince si cher au coeur du roi et si précieux à toute la nation.

V. Que, pour éviter les difficultés de s'assurer du véritable contenu d'écrits faits en langue étrangère et dans un pays où il n'y a d'interprètes que les personnes intéressées, le roi serait prié de vouloir confier audit prélat le sceau principal de sa dignité royale et qui, par toute la nation, en est regardé comme l'investiture, afin que, dans tous les cas, la Cour de France fût assurée des pouvoirs de M. l'évêque d'Adran et pût compter sur le succès de l'entreprise qu'elle pourrait faire.

VI. Que ledit prélat demanderait à la Cour de France, au nom du roi de la Cochinchine, un secours de 1.500 hommes, le nombre de vaisseaux nécessaire pour leur transport ; de l'artillerie de campagne, des munitions de guerre, et tout ce qui. serait nécessaire et utile à l'expédition.

VII. Qu'il sera donné pour gouverneur au prince royal et héréditaire et pour accompagner l'évêque d'Adran:

Deux des principaux officiers de la Cour avec toute la suite nécessaire, lesquels officiers seront aussi garants du désir sincère qu'a le roi de traiter avec la Cour de France.

VIII. Que M. l'évêque d'Adran sera chargé de proposer au nom du roi et de son Conseil de faire cession et de donner au roi de France, en pleine et entière souveraineté, l'île qui ferme le port principal de toute la Cochinchine, appelé par les Européens le port de Tourare, et par les Cochinchinois Hoi an, pour y faire des établissements en la manière et forme qu'il jugera plus à propos.

IX. Qu'il sera de plus accordé à la nation française, conjointement avec les Cochinchinois, la propriété dudit port, afin d'y pouvoir garder, caréner et construire tous les vaisseaux que la Cour de France jugera nécessaires.

X. Que ledit prélat proposera aussi à la Cour de France la propriété de l'île appelée Poulo Condor.

XI. Que le roi accordera à la nation française le commerce de ses Etats exclusivement à toutes les nations européennes.

XII Que le roi s'engagera, si la France le rétablit et le soutient dans ses Etats, à donner au roi de France les mêmes secours en soldats, matelots, vivres, vaisseaux, galères, etc., toutes les fois qu'il en sera requis, et partout où besoin sera.

XIII Que le roi sera prié de prévenir M. l'évêque d'Adran que, si la cour de France venait à demander des choses que Sa Majesté n'aurait pu prévoir, ledit prélat ne devrait y consentir qu'autant que les articles demandés ne porte- raient préjudice en aucune manière aux intérêts de son peuple dont ledit seigneur roi est le père et le défenseur ; que ledit prélat, parfaitement instruit des moeurs et cou- tumes des Cochinchinois, représenterait à la Cour de France que le traité que le roi désire conclure avec elle n'aurait de consistance qu'autant que les conditions en seraient équi- tables et avantageuses aux deux nations contractantes.

XIV. Enfin que le roi sera prié de faire connaître à M. l'Evêque d'Adran que, en remettant entre ses mains son sort et celui de tous ses sujets, il attend de son attachement pour sa personne royale qu'il mettra dans cette négociation, avec la célérité mesurée par les circonstances, toute la prudence et la maturité que ledit seigneur roi lui a toujours reconnues ; que de cette opération dépend le succès d'un ministère qu'il a rempli avec zèle, et pour lequel il a fait les plus grands sacrifices ; qu'enfin, en faisant connaître par le succès la bonté de l'Etre suprême dont il est le ministre, et la bien- faisance du grand Roi dont il est le sujet, il méritera à jamais les éloges et la reconnaissance du roi et de toute la nation cochinchinoise.

Délibéré au conseil royal, le 10e jour de la 7e lune de la 43e année du règne de Tanh Hung 

Lettre du roi Gia Long (Nguyen Anh) à Louis XVI : 

"Malgré la différence d'étendue de mon pays et celle de votre illustre royaume, malgré la distance considérable qui nous sépare, persuadé que vous croirez à ma sincérité, je me suis décidé, d'après l'avis de Canh Chi (l'évêque d'Adran), de m'adresser à vous. J'ai donc confié mon fils Canh à Canh Chi et lui ai remis le sceau de l'empire, afin que vous ayez toute confiance en lui, pour qu'il se rende auprès de vous et vous demande les secours nécessaires pour rentrer dans mon royaume. Connaissant vos vertus, je me flatte que vous daignerez accueillir mon jeune enfant, que vous aurez compassion de mon sort, et j'espère que dans peu j'aurai la joie de le voir revenir avec les secours nécessaires. J'attends avec impatience le retour de Canh Chi, et soyez persuadé que je conserverai pour toujours le souvenir de vos bienfaits."

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