TRAITÉ PATENOTRE. — Traité conclu à Hué le 6 juin 1884 pour consacrer le protectorat de la France sur le royaume d'Annam

 

Les ratifications n'ont été échangées à Hué que le 23 février 1886.

Le gouvernement de la République française et celui de S. M. le roi d'Annam, voulant empêcher à jamais le renouvellement des difficultés qui se sont produites récemment, désireux de resserrer les relations d'amitié et de bon voisinage, ont résolu de conclure une convention à cet effet et ont nommé pour leurs plénipotentiaires, savoir :

Le président de la République française :

M. Jules Patenôtre, officier de l'ordre national de la Légion. d'Honneur, ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire de la République près de S. M. l'empereur de Chine;

Et S. M. le roi d'Annam :

Leurs Excellences Nguyen Van Tuong, premier régent, ministre de l'Intérieur ;

Pham Than Duat, ministre des Finances,

Et Ton That Phan, chargé des relations extérieures, ministre des Travaux publics par intérim;

Lesquels, après s'être communiqué leurs pleins pouvoirs respectifs, trouvés en bonne et due forme, sont convenus des articles suivants :

ARTICLE PREMIER. — L'Annam reconnaît et accepte le protectorat de la France. La France représentera l'Annam dans toutes ses relations extérieures. Les Annamites à l'étranger seront placés sous la protection de la France.

ART. 2. — Une force militaire française occupera Thuan An d'une façon permanente. Tous les forts et ouvrages militaires de la rivière de Hué seront rasés.

ART. 3. — Les fonctionnaires annamites, depuis la frontière de la Cochinchine jusqu'à la frontière de la province de Ninh Binh, continueront à administrer les provinces comprises dans ces limites, sauf en ce qui concerne les douanes, les travaux publics, et en général les services qui exigent une direction unique ou l'emploi d'ingénieurs ou d'agents européens.

ART. 4. — Dans les limites ci-dessus indiquées, le gouvernement annamite déclarera ouverts au commerce de toutes les nations, outre le port de Qui Nhon, ceux de Tourane et de Xuan Day. D'autres ports pourront être ultérieurement ouverts après une entente préalable. Le gouvernement français y entretiendra des agents placés sous les ordres de son résident à Hué.

ART. 5. — Un résident général, représentant du gouvernement français, présidera aux relations extérieures de l'Annam et assurera l'exercice régulier du protectorat sans s'immiscer dans l'administration locale des provinces comprises dans les limites fixées par l'article 3. Il résidera dans la citadelle de Hué avec une escorte militaire.

Le résident général aura droit d'audience privée et personnelle auprès de S. M. le roi d'Annam.

ART. 6. — Au Tonkin, des résidents ou résidents adjoints seront placés, par le gouvernement de la République, dans les chefs-lieux où leur présence sera jugée utile. Ils seront sous les ordres du résident général.

Ils habiteront dans la citadelle et, en tout cas, dans l'enceinte même réservée aux mandarins ; il leur sera donné, s'il y a lieu, une escorte française ou indigène.

ART. 7. — Les résidents éviteront de s'occuper des détails de l'administration intérieure des provinces. Les fonctionnaires indigènes de tout ordre continueront à gouverner et à administrer sous leur contrôle, mais ils devront être révoqués sur la demande des autorités françaises.

ART. 8. — Les fonctionnaires et employés français de toute catégorie ne communiqueront avec les autorités annamites que par l'intermédiaire des résidents.

ART. 9. — Une ligne télégraphique sera établie de Saïgon à Hanoï et exploitée par des employés français. Une partie des taxes sera attribuée au gouvernement annamite qui concédera, en retour, le terrain nécessaire aux stations.

ART. 10. — En Annam et au Tonkin, les étrangers de toute nationalité seront placés sous la juridiction française.

L'autorité française statuera sur les contestations de quelque nature qu'elles soient, qui s'élèveront entre Annamites et étrangers, de même qu'entre étrangers.

ART. 11. — Dans l'Annam proprement dit, les Quan Bo percevront l'impôt ancien, sans le contrôle des fonctionnaires français, et pour le compte de la cour de Hué.

Au Tonkin, les résidents centraliseront, avec le concours des Quan Bo, le service du même impôt, dont ils surveilleront la perception et l'emploi. Une commission, composée de commissaires français et annamites, déterminera les sommes qui devront être affectées aux diverses branches de l'administration et aux services publics. Le reliquat sera versé dans les caisses de la cour de Hué.

ART. 12. — Dans tout le royaume, les douanes réorganisées seront entièrement confiées à des administrateurs français. Il n'y aura que des douanes maritimes et de frontières placées partout où le besoin se fera sentir. Aucune réclamation ne sera admise en matière de douanes au sujet des mesures prises jusqu'à ce jour par les autorités militaires.

Les lois et règlements concernant les contributions indirectes, le régime et le tarif des douanes et le régime sanitaire de la Cochinchine seront applicables aux territoires de l'Annam et du Tonkin.

ART. 13. — Les citoyens ou protégés français pourront, dans toute l'étendue du Tonkin, et dans les ports ouverts de l'Annam, circuler librement, faire le commerce, acquérir des biens meubles et immeubles et en disposer. S. M. le roi d'Annam confirme expressément les garanties stipulées par le traité du 15 mars 1874, en faveur des missionnaires et des chrétiens.

ART. 14. — Les personnes qui voudront voyager dans l'intérieur de l'Annam ne pourront en obtenir l'autorisation que par l'intermédiaire du résident général, à Hué, ou du gouverneur de la Cochinchine. Ces autorités leur délivreront des passeports qui seront présentés au visa du gouverne- ment annamite.

ART. 15. — La France s'engage à garantir désormais l'intégralité des États de S. M. le roi d'Annam, à défendre ce souverain contre les agressions du dehors et contre les rebellions du dedans. A cet effet, l'autorité française pourra faire occuper militairement, sur le territoire de l'Annam et du Tonkin, les points qu'elle jugera nécessaire pour assurer l'exercice du protectorat.

ART. 16. — S. M. le roi d'Annam continuera, comme par le passé, à diriger l'administration intérieure de ses Etats, sauf les restrictions qui résultent de la présente Convention.

ART. 17. — Les dettes actuelles de l'Annam vis-à-vis de la France seront acquittées au moyen do payements dont le mode sera ultérieurement déterminé. S. M. le roi d'Annam

s'interdit de c racter aucun emprunt à l'étranger sans l'autorisation du gouvernement français.

ART. 18. — Des conférences régleront les limites des ports ouverts et des concessions françaises dans chacun de ces ports, l'établissement des phares sur les côtes de l'Annam et du Tonkin, le régime et l'exploitation des mines, le régime monétaire, la quotité à attribuer au gouvernement annamite sur les produits des douanes, des régies, des taxes télégraphiques et autres revenus non visés dans l'article 11 du présent traité.

La présente convention sera soumise à l'approbation du gouvernement de la République française et de S. M. le roi d'Annam, et les ratifications en seront échangées aussitôt que possible.

ART. 19. — Le présent traité remplacera les conventions des 15 mars, 31 août et 23 novembre 1874. En cas de contestations, le texte français fera seul foi.

En foi de quoi les plénipotentiaires respectifs ont signé le présent traité et y ont apposé leurs cachets.

Fait à Hué, en double expédition, le 6 juin 1885.

NGUYEN VAN TUONG, PHAM THAN DUAT, TON THAT PHAN.

PATENÔTRE.

 

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