Les critiques de la politique coloniale en Indochine
Au lendemain de la 1ere guerre mondiale, les dysfonctionnements du système colonial sont mis en lumière par des journalistes ou des écrivains comme Viollis, Monet, Roubaud, Werth ou Malraux. Même Roland Dorgeles, dans La Route Mandarine met en garde contre les abus, pouvant conduire la colonisation "à ne pas durer plus de 30 ans" ... C'était en 1925, juste 30 ans avant le départ des français !
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Quelques uns des livres dénonçant les abus |
Les faits décrits dans ces ouvrages sont nombreux : famines au Tonkin, conditions de travail épouvantables dans les plantations, trafic de main d'œuvre, manifestations violemment réprimées, absence de la liberté, affairisme et corruption du pouvoir colonial, humiliations et brimades de l'indigène ....
Mais si le gouvernement colonial est souvent montré du doigt pour son incapacité à se libérer des intérêts privés, peu d'explications portent sur l'attitude du "colon", jugée peu amicale vis à vis de l'indigène. Dans un roman écrit par Guy de Pourtalés, en 1931, quelques pages traitent de cette question. Une explication de bon sens qui pourrait être la bonne !
Extraits
"Le colon ! Je ne ferai pas son procès.Il est vraiment facile et lon en a déjà trop dit, je crois. Javancerai même que le colon est excusable, parce quil ne comprend pas. Ou plutôt, il ne comprend plus. Lorsquil a débarqué en Indochine, autrefois, il sest étonné de trouver pour le servir à bas prix tant de petits êtres silencieux et commodes. Cela le changeait de la morgue imbécile des électeurs de sa bourgade. Mais il a vite pris lhabitude dêtre un seigneur. Son minuscule pouvoir la grisé. Puis il a contracté les fièvres, il est devenu irritable, mauvais. Il a vécu seul souvent, il a passé beaucoup de temps à boire. Lexaspérant silence de lindigène, toujours soumis et dont la seule défense est le mensonge, a mis ses nerfs en boule. Incapable ou insoucieux dapprendre la langue du pays, il navait pour convaincre et régner que sa canne, son titre de citoyen français et lappui du gendarme. Il en a usé et abusé. Et voici quil est devenu ce gros monsieur aux fureurs courtes, aux yeux injectés de bile, et bonasse vous dis-je, plein de mansuétude lorsquon le prend aux bonnes heures, entre un Pernod et un Martini. Jamais il ne se doutera quil y a de sa faute dans la haine quil a créée, et que tous ces petits chats dAsie qui fuient devant lui sarrêtent à quelques pas, comme les autres, comme les vrais chats, se retournent, lobservent, et font jouer leurs griffes.
Jen parlais hier à un planteur.
- Surtout, pas de sensiblerie, ma-t-il dit. On voit que vous êtes fraîchement débarqué. Deux ou trois bataillons et des mitrailleuses, voilà ce que le gouvernement général devrait envoyer au Tonkin. Les troubles y seraient terminés dans les huit jours.
Un fonctionnaire dHanoi hochait la tête. Il est un peu plus sceptique. Cest un homme des villes. Lautre est un habitant de la brousse et les points de vue ne concordent pas. Il est de fait, que linfluence du colon est une garantie de sécurité ; il est lordre ; il protège ses hommes contre les voleries du mandarin. Parfois contre les pirates armés. Mais sil est un défenseur, il ne sera jamais un ami.
- Et quand on pense , ajoutait le planteur, que nous leur avons apporté tout ça !
Son geste indiquait la rue Catinat, les autos, les lampadaires électriques, la boutique de Kodak, un marchand de cravates, le café Continental. Tout ça, et pas heureux, pas reconnaissants ! Sans parler des routes, des chemins de fer, des autocars, des banques, de la prospérité. Ingratitude et sottise.
- Est-ce, demandai-je, aux Annamites que tout cela profite ?
- Et parbleu, à eux comme à nous.
- Je ne les vois guère que domestiques, coolies, traîneurs de pousse, petit employés.
- Parce que vous ne voyez pas les riches, ceux qui, grâce à nous, sont millionnaires.
- Il y en a donc beaucoup ?
- Des masses
- Il y en a un certain nombre, fit le directeur des douanes ; pas autant probablement, que monsieur le pense. Et ceux là ne sont pas les révolutionnaires.
- Le mécontentement, interrompit Fletcher, nest pas une affaire de gros sous. Songez à tout ce que lEmpire a entrepris pour la prospérité des Indes. Et voyez pourtant limmense mouvement qui se dessine là bas. LAsie ne se soulèvera jamais pour des raisons dordre économique. Ca ne lintéresse pas. Mais elle fermente partout pour la grande raison politique, celle de son indépendance.
- Sommes nous des oppresseurs ?
- Certainement ; le blanc lest toujours. Cest un maître né. Les peuples de couleur sont des esclaves nés. Ou du moins létaient ils, car ils viennent de prendre conscience, avec le XXeme siècle et la guerre, quils ne lont pas toujours été et que le blanc nest nullement invincible. Noubliez pas que lAsiatique est venu sur lYser et dans la Somme. Nous lavons instruit, et maintenant quil a été chez nous à lécole et à la caserne, il va nous prier - avec toute la politesse dusage- de vouloir bien le laisser mettre en pratique nos théories. LAsie a trouvé son orgueil, comprenez vous ?
[..]
Un intellectuel annamite disait à Léon Werth ce mot profond : loppression nous vient de la France, mais lesprit de libération aussi."