La vie sur les plantations Michelin

 

Ouvrage fort intéressant de F. Graveline "Des Hévéas et des Hommes, l'aventure des plantations Michelin ", édition Nicolas Chaudun, paru en 2006. 

Les textes présentés ici sont extraits de cet ouvrage, ainsi que quelques photos.

 Les photos sepia proviennent de l'annuaire du syndicat des planteurs

Après des essais infructueux au Brésil et beaucoup d'hésitations, les frères Michelin décident de créer 2 plantations en Indochine. La décision est prise en 1925, soit très tardivement par rapport aux autres plantations. Celles ci ne voient pas d'un très bon oeil l'arrivée de Michelin, aux moyens financiers considérables et aux pratiques bien plus orthodoxes que celles en vigueur à cette époque là en Indochine...

L'hôpital de la plantation vers 1930 (

Plantation Michelin - Hôpital Salle des pansements.

Orphelinat - Le repas des enfants.

 

Plantations Michelin - Scierie - Transport ancien et moderne

 

Plantation Michelin ; Laboratoire / Usine d'essai pour traitement des gommes. Salle de manipulation.

Le recrutement

"Pour recruter des coolies, c'est pas compliqué. On les embobine avec rien, les nha qué (paysans). De belles photos de plantations ou on voit les villas des assistants, les automobiles, les jardins. Des coolies bien habillés aussi, photo prise, bien sur, le jour de la distribution de vêtements. Ah, j'oubliais le plus important, une photo de la paye avec une table pleine d'argent. Ca, ça leur fait de l'effet. Ensuite tu enchaînes avec le salaire : 0,40 piastre par jour. Tu parles si c'est le Pérou pour eux qui sont habitués à toucher 15 sous. Bien sur, tu oublies de leur dire que la vie sur la plantation est très chère. Tu oublies aussi qu'avant de saigner les hévéas - un jeu d'enfant - il faudra commencer par abattre la forêt vierge.. Oublier, ce n'est pas mentir. Et là, si tu sens quelque réticence, tu abats ton atout maître. Le coolie perçoit une avance de 10 piastres. Tu leur montre la monnaie et ils signent sans réfléchir, ces bêtes là. Une fois engagé, tu leur préléves deux ou trois piastres pour les frais. Ce n'est pas vrai, bien sur. Ils ne le savent pas et ne vont pas se plaindre. A qui d'abord ? à moi, c'est des coups de canne que je leur rendrais. Comme tu touches déjà normalement deux piastres par coolies, tu vois le bénéf. C'est qu'on a besoin d'un petit matelas pour payer les passe droits, les arrangements entre amis. Quitte à faire du chiffre, moi j'embauche tout le monde, les malades, les toufiané, les vieux comme le reste. La visite médicale est surtout une histoire de feuille tamponné. Après, si le commanditaires se plaignent là bas à Saigon, je leur raconte que c'est le voyage en bateau, que les coolies sont rares ou que mes concurrents viennent de recruter dans ce secteur. Il faut savoir varier les explications. Ils ont besoin de moi de toute façon."

Jour de paye ("Des hévéas et des hommes")

Commentaires de Michelin :

"Nous recevons des coolies venus sous un faux état civil, pour se soustraire à la justice, ou croyant arriver dans un pays ou ils vivront bien en ne travaillant pas beaucoup ; des coolies déçus ou soupçonneux, ayant le sentiment d'avoir été roulé par les recruteurs et l'impression de se retrouver dans un bagne plutôt que dans une plantation ou ils pourront vivre heureux. Ils sont non préparés aux travaux que nous leur demandons. Des coolies affaiblis par une longue sous alimentation, tristes (cela se conçoit, car ayant abandonné leur village, leur familles, les tombeaux de leurs ancêtres). Certains sont mêmes de véritables déchets ayant échappé à la visite médicale et totalement incapable de travailler. Ils sont souvent dépravés (opiomanes, filles publiques, paresseux) n'ayant qu'une idée : déserter pour aller à Cholon.

"Deux conclusions s'imposent : recruter un recruteur digne de confiance, ce qui prendra du temps au vu des pratiques de la colonie. En attendant, faire au mieux avec les coolies reçus : les plus robustes sont envoyés à Thuan Loi, les autres à Dautieng. La charge de travail des nouveaux est réduite de 40% et graduellement augmentée pendant 4 mois jusqu'à atteindre un niveau normal. Il est primordial de les rassurer, de leur dire qu'ils seront bien traités, bien soignés. Qu'on les ramènera au bout de 3 ans dans leur village avec un petit pécule mais que, sur le millier de Tonkinois déjà arrivés, la plupart veulent rester ici pour toujours. Et qu'ils sont mieux ici qu'ailleurs." 

Tonkinois arrivant en Cochinchine pour travailler dans les plantations ("Des hévéas et des hommes")

Visite de l'inspecteur du travail, en 1926

Superficie totale : 8962 hectares, dont 400 défrichés. En 1926, la plantation a réalisé une extension de 2300 hectares, prêts à être plantés aux 1ere pluies, en juin prochain, et comporte un effectif de 2030 personnes sous contrat, dont 250 femmes provenant essentiellement du tonkin.

Coté soins, les progrès sont aussi notables. "L'infirmerie primitive a été remplacée par une installation centrale provisoire, capable d'accueillir 240 malades, et qui sera remplacée par une infirmerie centrale pour 120 malades et  un hôpital de 24 lits. La moyenne des indisponibles est de 100 à 120 malades par jour, généralement pour blessures ou plaies aux pieds ou aux jambes [..] A noter également au moment de notre inspection d'assez nombreux "indisponibles" que la plantation assura provenir de recrutements défectueux au départ du tonkin.

Les engagés reçoivent par contrat 0,40 piastres de paye journalière et une ration de 800 grammes de riz par jour. En cas d'absence au travail, la ratio de riz est supprimée. Les malades à l'infirmerie sont nourris et vêtus pendant la durée de leur traitement par la plantation. Le riz de ration est de très bonne qualité. Il est distribué individuellement,; mesure par mesure, aux hommes dans chaque campement par un assistant européen sans l'intermédiaire d'un cai. [..] En résumé, la plantation Michelin et Cie de Dautieng donne, dès à présent, après environ une année d'installation seulement, l'impression d'une exploitation puissante, fermement et méthodiquement conduite.

 

L'ingénieur français lors des défrichements ("Des hévéas et des hommes")

 

L'équipe d'encadrement ("Des hévéas et des hommes")

Le drapeau rouge flotte sur Thuan Loi

"Le bruit d'une sédition grave qui se serait produite sur une plantation cette nuit courait en ville ce matin" annonce l'Opinion du 6 février 1930. L'assassinat de Monteil, deux ans plus tôt, est encore dans toutes les mémoires. La rumeur dit vrai, Thuan Loi est en grève. Thuan Loi encore, on s'alarme. Combien de morts cette fois ci ? Les 1300 coolies de Thuan loi ont cessé le travail depuis le 5. Ce soir, ils ont lancé un ultimatum : "tous les européens doivent avoir quitté la plantation avant que la lune soit couchée."

Depuis quelques mois les tensions sont palpables dans la plantation, aussi bien que dans la colonie. 

Soumagnac (le directeur) n'en revient pas de ce qui se passe. Il a sous estimé leur détermination. C'est que l'affaire à été préparé de longue date. Des caches ont été aménagées en foret pour entreposer des vivres et faire face à une grève prolongée, des négociations ont été entreprises avec les moï afin qu'ils ne pourchassent plus les coolies fugitifs. Mais surtout un patient travail de propagande a été mené à bien pour faire partager les idées communistes. Des tracts, des journaux clandestins ont circulé, un réseau s'est crée entre les villages, les forces se sont unies. Le combat pouvait commencer.

Deux avions ont survolés la plantation cet après midi...

L'inquiétude ronge les européens. 

Le directeur file sur Bien Hoa où il prévient les autorités. La réaction ne se fait pas attendre. Des camions transportant plusieurs centaines de légionnaires montent de Saigon vers la plantation, bientôt suivi par Arnoux, le chef de la sûreté et par le gouverneur général, monsieur Krankheimer en personne. Le siège de Thuan Loi se prépare. On n'a aucune nouvelle des européens restés sur place. On s'attend à une résistance acharnée.

Mais, au lieu de combattants populaires (..) on tombe sur des coolies tranquillement assis en groupe et sans armes. La révolte est finie, seule persiste la grève.  En fait, les grévistes, après l'ivresse du premier succès, se sont rendus compte que la résistance armée conduirait à un bain de sang et à l'anéantissement du mouvement. Mieux valait rester dans la légalité pour pouvoir poursuivre le mouvement.

Les autorités veulent des coupables. L'affaire est trop grave. Des arrestations sont effectués par dizaine, l'unité des grévistes se fissure, des langues se délient.

Les principaux suspects sont déférés à Saigon et sont condamnés au bagne, Phu écopant de la plus lourde peine, 5 ans de travaux forcés.

A Thuan loi, le travail finit par reprendre au bout de quelques jours, des centaines de coolies s'étant d'abord enfuis dans la forêt.

Mais rien ne sera plus comme avant : une atmosphère de suspicion s'installe."

Orphelinat ("Des hévéas et des hommes")

 

Bungalows de l'encadrement ("Des hévéas et des hommes")

 

Période faste .... ("Des hévéas et des hommes")

Guerre du Vietnam

En 1967, Thuan Loi, isolée, est abandonnée. Dautieng, en 1969, à peine 10% de la surface est exploitée. Finalement, 40 ans d'efforts seront réduits à rien à cause de la guerre. Élargissement des routes pour faire passer les chars (réduisant les plantations), agent orange ... rien ne sera épargné à ces exploitations qui subiront aussi les bombardements. Presque tout sera détruit : village, églises, bungalows, écoles. En 1969, défoliation complète de Thuan Loi.

 

MichelinAuVietnam.jpg (68536 octets) A  noter la parution d'un livre début 2013 consacré aux plantations Michelin en Indochine, avec notamment le récit témoignage d'un ouvrier des plantations. .

 

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