Phat-Diem, oeuvre du Père Six

 

La cathédrale de Phat Diem

La célèbre cathédrale se situe à 28km de Ninh Binh, à la sortie du village de Kin Son, dans le delta du fleuve rouge, au sud-est de Hanoi. Cette cathédrale fut construite entre 1875 et 1899 par le Père Tran Luoc (le Père "Six") qui puisa dans le répertoire de l'architecture des pagodes et des dinh (maison communale) tonkinois. Au delà du symbole chrétien, c'est un exemple magistral de l'architecture vietnamienne de l'époque de Hué. Demeuré intact, cet imposant ouvrage peut se révéler plus impressionnant que les vestiges de la capitale de l'Annam, rescapée de l'offensive du Têt.

Les photos contemporaines datent de 2007 et 2012.

Le pont couvert, non loin de la cathédrale (bizarre, j'avais l'impression que ce pont était beaucoup plus loin lors d'un précédent passage...). 

L'édifice est indissociable de la personnalité de son auteur, le Père Six, qui vécut de 1825 à 1899. Élève au séminaire du Tonkin, il n'était que diacre quand éclata la persécution contre  les catholiques. En 1862, à l'arrivée des français, le Père Six approche de la quarantaine. La deuxième partie de sa vie commence. Il va donner la mesure de son énergie et de son savoir faire. Nommé curé de Phat Diem, il se révèle organisateur de premier ordre. Diplomate hors pair, il est consulté par les officiers français, comme le capitaine Joffre et le commandant Lyautey et par les Empereurs d'Annam qui le placent au rang de ministre d'État. Des français, il reçoit la distinction d'officier puis chevalier de la Légion d'Honneur. Quand il meurt, en 1899, 40.000 personnes assistent à ses funérailles. Sa mémoire demeure si glorieuse que 25 ans plus tard, l'Empereur Khai Dinh lui décerne à titre posthume le titre de baron de Phat Diem...  

La Père Six, curé et Baron de Phat Diem, Prètre Annamite, Chevalier de la Légion d'Honneur, Ministre honoraire des Rites à la Cour d'Annam, constructeur de l'église de Phat Diem, et curé de cette paroisse de 1866 à 1899.

 

Le Père Six : un bâtisseur hors pair

 

La conquête de la mer

 

"Le colmatage des alluvions du fleuve rouge assure régulièrement chaque année une avance de 100 mètres de terrain aux riverains du delta, sur un front de 25km. Cette avance est tellement régulière qu'elle fait l'objet à l'avance d'achats et de ventes, alors que le sol futur est encore couvert par les flots marins.

Un double problème était à résoudre: l'assèchement et l'irrigation méthodique de l'immense marécage.

Il pourvoit au premier par la construction de digues successives, tant du coté de la mer que du coté du fleuve.

Il conquit ainsi et put mettre en valeur plusieurs milliers d'hectares capables de donner une double récolte de riz chaque année, à condition de pouvoir être convenablement irriguées. Eh bien ! dans ces marécages, le Père Six ne conçut pas seulement le projet de faire pousser du riz, il voulut en faire sortir des palais et des cathédrales. Il y réussit, et ce tour de force est bien celui qui aujourd'hui émerveille le plus ses visiteurs."

 

"Si le mot création peut convenir aux entreprises humaines, c'est bien ici qu'il faut l'employer. Dans ces marais de Phat Diem, le Père Six n'avait ni bois ni pierre, ni brique, ni l'appareil de construction, ni architecte : rien que des bambous, des bras, son intelligence et sa volonté tenace."

 

"Cela lui suffit pour opérer des merveilles"

 

Visites nombreuses des catholiques de tout le nord Vietnam

 

La construction de la Première Chapelle

"En 1871, il risqua sa 1ere chapelle. A cette époque, le Père Six ne possédait encore pour les exercices de culte qu'une misérable paillote, élevée à la hâte après la terrible persécution de 1858-1862."  

 

 

Les chapelles

 

 

"Il décida de la remplacer par un bâtiment plus vaste et plus décent, appelé lui même à disparaître lorsqu'il livrera au culte, en 1894, la magnifique église du rosaire, devenu aujourd'hui la cathédrale de Phat Diem."

 

"En 1875, il se risque à un genre de construction plus massive, afin d'apprendre à jeter en terrain d'alluvion des fondations solides. C'est la grotte du Saint Sépulcre, ou se déroule durant la Semaine Sainte les fêtes si populaires.."

 

"Les procédés de construction auxquels eut recours le Père Six valent la peine d'être notés.

Le terrain de Phat Diem, comme on sait, n'est autre chose que de la boue plus ou moins visqueuse. Il faut raffermir ce sol inconsistant. Le Père Six commença par y enfoncer une foret de bambous, sur laquelle il fit enliser de véritables radeaux de bois qui, dans cette boue humide, deviennent capables de se conserver indéfiniment."

 

 

Gros plans sur la sculpture des poutres

 

"Pendant ce temps, une main d'œuvre abondante travaillait pour lui dans les carrières de Thien Duong, à 30 km de Phat Diem ou dans les forêts de Benthuy, à 150 km plus loin."

 

"Les pierres étaient lentement disjointes, à grand renfort de leviers de bois. Une centaine de coolies s'attelaient alors à ces masses formidables et les faisaient progresser sur des rouleaux de bois jusqu'au canal ou les attendaient d'énormes radeaux."

 

La recherche de bois

 

"Bien plus difficile encore était l'approvisionnement en bois, qu'il fallait aller chercher à Benthuy (150 km) où l'on trouve le fameux bois de fer, ou lim, si célébre en Annam, parce qu'il est inattaquable aux intempéries ou aux termites. L'arbre est de grande dimension. Son bois, de belle couleur rouge foncé, est à la fois si dur qu'il faut pour le travailler de outils spéciaux, et si pesant qu'il coule au fond de l'eau (densité 1,2).

 

 

Photo de l'intérieur de la nef, très sombre en raison du peu d'ouverture sur l'extérieur, et du chœur. 

 

Aujourd'hui cependant, quand le visiteur pénètre dans la grande église de Phat Diem, ce qui attire d'abord son attention, ce sont les 48 colonnes de bois de fer, d'une circonférence de 2m40, qui soutiennent les voûtes de l'édifice, et qui, dans la nef centrale, ne mesurent pas moins de 12 mètres de hauteur !

Comment parvint on à les amener à pied d'œuvre sans routes de terre ou d'eau accessibles ?  après les avoir fait tirer  par ses buffles jusqu'à la mer, le Père Six les faisait attacher deux par deux à de grosses jonques chinoises qui, levées de ces masses pesant près de 10 tonnes, naviguèrent, dieu sait comment, jusqu'à l'entrée du fleuve rouge.

C'est ainsi que, pendant des années, il accumula les matériaux dont il avait besoin pour réaliser ses grands projets. Il n'ambitionnait rien moins, pour la maison de dieu, que de rivaliser avec les palais royaux qu'il avait autrefois admirer à Hué."

 

La recherche du Marbre

"Pour cela, il lui manquait encore du marbre, et il eut été impossible à tout autre que lui de s'en procurer. Tout prêt de Thanh Hoa, à Nui Gioi, il y  avait bien des  carrières très renommés, mais c'était des carrières royales, et les matériaux réservés aux seuls bâtiments officiels. "

"Mais la providence vint au secours du père Six."

 

 

Gros plans sur la sculpture en facade

 

"En 1883, lorsque la France fit, pour la deuxième fois, la conquête du Tonkin,  les mandarins de Than Hoa voulant empêcher les navires français d'approcher de la ville, firent obstruer l'entrée du canal qui la met en communication avec le fleuve.

Pour cela, ils n'eurent qu'à immerger d'énormes blocs de marbres tiers des carrières voisines de Nui Gioi. Aucun bateau ne put, en effet, forcer le barrage, mais la ville n'en fut d'ailleurs pas moins occupée.

La guerre finie, le barrage n'avait plus de raison d'être et constituait une sérieuse entrave à la navigation fluviale.

Le P six, toujours attentif à profiter des circonstances, vit dans cet accident une superbe carrière à exploiter. Il offrit à dégager le canal et  ne demanda pour prix qu'il en tirerait et quelques autres qu'il pourrait aller chercher à la montagne."

 

 

Vue de face du site

"Au bout de quelques mois, le canal était rendu à la navigation et le Père Six avait réuni les matériaux nécessaires à ses plans.

Dès que les circonstances devirent favorables, il entreprit la construction des édifices dont il voulait doter sa chrétienté: une église paroissiale et les deux chapelles votives qu'il s'était engagé à construire dès qu'il en aurait les moyens.

 

La première chapelle en pierre

 

Il commença par les chapelles.

La 1ere était vouée à la Sainte vierge. Elle fut achevée en 1888. Elle mesure 18 mètres de long, 9 m de large et 8 maîtres de haut. Colonnes et charpentes en pierre. Les cotés sont fermés par des balustrades de pierres et des plaques de marbre ajourés représentant des feuillage de bambou."

 

"Pour monter et travailler cette chapelle sans échafaudage, l'architecte improvisé eut recours à une méthode renouvelé, dit on, de notre moyen age. Il fit noyer les murs dans une montagne de terre, qui permettrait aux maçons et aux sculpteurs de travailler à leur aise."

 

Vue prise du clocher

 

"Quand l'édifice fut terminé, on déblaya, et l'ensemble resta debout. [..]"

 

"Dès que la chapelle du vœu de Langson fut terminé, le Père Six commença immédiatement la construction de celle qui avait promise au sacré cœur, en 1874.

Cette fois, il délaissa la pierre pour le bois.

La chapelle du Sacré Cœur mesure 25 mètres de long, 12 de large et 9 de haut. Elle est en bois de fer; toutes les colonnes et les fermes de la charpente sont soigneusement sculptées. La porte d'entrée, qui ferme l'église sur presque toute sa largeur, est particulièrement remarquable. Elle est entièrement sculptée à jour, et le travail en est si remarquable que le résident supérieur de hué, de passage à Phat Diem, offrit au père six de la faire expédier à paris pour l'exposition de 1889.

 

L'auteur fut très flatté, mais il eut peur de ne jamais revoir sa porte monumentale, qui  demeura à Phat Diem.

Construction de la cathédrale

 

Il était désormais en état de s'attaquer à son projet définitif: l'église paroissiale - aujourd'hui la cathédrale de Phat Diem.

les travaux commencèrent en 1891. Dès la fin de l'année précédente, les plus débrouillards de ses chrétiens furent envoyés aux 4 coins  du Tonkin pour recruter des centaines de scieurs de long et de charpentiers.

On en constitua 10 équipes, chargée chacune de bâtir une travée. Toute la chrétienté fut réquisitionné d'office pour assurer une main d'œuvre permanente.

Les plans étaient ambitieux: 80 mètres de long, 24 de large,  et 16 de haut.

 

La cloche et le gong de la cathédrale. La date de 1890 est indiquée sur la cloche.

 

Le style est celui des basiliques romaines ou plutôt des palais chinois, à charpente apparente et à double étage. La façade est formée par un porche monumental, avec 5 allées d'une longueur de 9 mètres, donnant accès aux 5 portes de l'église.

 

Dans  la construction de ce porche, le Père Six a fait entrer des pierres énormes: celle ci mesure 4,2 de long et 1.20 de hauteur sur 0.60m de large; cette autre, 2.1m sur 1,50 et 0.75; toutes les autres sont à l'avenant.

Sur ce porche s'élèvent 3 tours à multiples étages et à toits recourbés, selon le style chinois. Celle du milieu atteint la hauteur de 22 mètres et est surmontée de la croix.

L'énorme charpente du double toit est en bois de fer. [..]

 

 Symbole apostolique et, à droite, travail remarquable sur pierre

L'église est fermée sur les cotés par des panneaux mobiles, qu'on enlève chaque fois que l'assistance est trop nombreuse, car aux grands jours on accourt à Père Six, de tout le district.

  

Description par Yvonne Schultz, dans l'Illustration, 9 novembre 1929.

 

"Jadis, les constructeurs de cathédrales faisaient le pacte avec le diable. Le Père Six ne pactisa qu'avec le temps. S'il y eut un miracle, ce fut un miracle de patience. Bien avant que ne fut posée la 1ere pierre, c'est à dire avant 1875, on se mit à enfoncer dans le terrain meuble madrier sur madrier. Et toujours les pilotis s'enlisaient et l'on continuait de frapper pour qu'il s'enlisât davantage. Alors, vers 30 mètres de profondeur, le lourd pilotis cessait enfin de descendre d'une façon apparente; on persistait  cependant, et à 32 métrez ou 35 mètres, il s'immobilisait complètement sous sa propre pression, constitué un véritable socle désormais immuable. Travail de géant....

Puis sur cette foret enlisée, on déchargea des masses de cailloux sur lesquels, sans trêve, passaient des buffles dont le poids faisait pénétrer les pierres dans le limon. Avec les années, buffles et cailloux colmatèrent si fortement le sol que l'on put enfin, de 1878 à 1895, date de la 1ere messe, ériger cette cathédrale et les 5 chapelles qui l'entourent en satellites sacrés.

 

Plan du site de Phat Diem

 

Dehors, aux pieds de la cathédrale, ce sont des litchis, ces beaux arbres japonais au feuillage dense comme une épaisse fumée d'encens..

Au delà, voici le séminaire, puis un frais jardin de cure.. et le couvent, l'œuvre des sourd muets tenue par les sœurs de notre dame des Missions.."

 

 

La cathédrale, vue de l'extérieur

 

On comprend la renommée croissante que de pareils tours de force conféraient au curé de Phat Diem.

L'empereur Tu Duc me comblait maintenant de ses témoignages d'estime. Sur les médailles d'or qu'il lui faisait parvenir, on pouvait lire, à la mode annamite, des sentences comme celles ci :

"sa parole sème la confiance. Il donne la paix.

Homme habile à éduquer le peuple et à lui donner le bonheur.

Homme droit par excellence.

 

Le gouvernement français s'honora en décernant au curé de Père Six la croix de chevalier de la légion d'honneur."

 

La tombe du Père Six

 

 

Les bénitiers à l'entrée de l'église, avec les sentences écrites en latin

 

 

 

 

- Comme ce lieu est redoutable ! C'est la maison de Dieu.

- Préparez votre âme, ne pas provoquer votre Seigneur !

- Ce que vous demandez en priant, vous le recevrez,

- Ouvres ton cœur, Pardonnes aux autres

- Dieu n'accorde de Grâces qu'à ceux qui les demandent

 

 

 

 

 

Le texte est issu de l'ouvrage de Mgr Armand Olichon, de 1941

 

 

Sommaire