Quand l'Opium finançait la colonie ...

L'opium a contribué jusqu'à 25% du budget de l'Indochine

 

Les textes qui suivent sont rédigés d'après le "Bulletin de la Société des Études Indochinoises de Saigon", de 1917.

 

L’opium en Indochine

Dès la conquête de l’Indochine, les français comprirent le parti financier qu’ils pouvaient tirer de l’opium dont l’usage était déjà répandu dans la population.

En 1861, deux français obtirent l’adjudication de la ferme de l’opium et leur entreprise devint vite prospère.

La ferme passa en 1864 à des chinois, d’abord à la congrégation des « Wang Tay » puis à celle des « Fockien ».

En 1881, le gouverneur M. Le Mure de Villers, décida de substituer à la ferme de l’opium le régime de la Régie directe. Il avait été reconnu, en effet, qu’entre les mains des chinois, la ferme de l’opium était  une arme dangereuse pour la sécurité et les intérêts des français.

Dès la fin de l’année 1881, l’Administration des Contributions directes fut crée, afin d’assurer l’exploitation des monopoles de l’opium et de l’alcool ainsi que de poursuivre la rentrée de l’impôt dont étaient toujours frappés le paddy et riz exportés. C’est à cette époque que date l’installation de la manufacture d’opium à Saigon.  

 

 Achats et Fabrication

L’opium fumé en Indochine provient en presque totalité de l’inde, suite à l’arrêt des exportations du Yunnan. Quant aux opiums tirés du Haut Tonkin ou du Laos, ils n’entrent que pour une part infime dans les stocks de la régie.

L’opium brut est transporté à l’unique manufacture de l’administration, celle que tous les Saigonnais connaissent. Le traitement qu’il y subit a pour but de le transformer en opium des fumeurs, c’est à dire en une substance ayant la consistance d’un sirop très épais, débarrassé d’une notable partie des alcaloïdes que contient le suc de pavot et de certaines gommes dont l’action sur l’organisme ne manquerait pas d’avoir des effets dangereux.

L’opium est traité à Saigon suivant la méthode cantonaise : les seuls perfectionnements consistent dans l’emploi d’un matériel européen qui permet d’obtenir des rendements supérieurs à ceux des bouilleries chinoises et qui fournit un produit d’une plus grande pureté. L’ensemble des manipulations est reparti sur 3 journées.  

Emplacement de la manufacture d'Opium à Saigon

Lieux de culture de l'opium en Indochine vers 1925    Maspero, L'Indochine - Un empire colonial français, 1925

Monopole de vente

L’administration procède à des ventes directes auprès des débitants agrées

L’opium est livré aux fumeurs dans des boites en laiton de 5,10,20,40 et 100 grammes. Ces boites portent l’estampille de la Régie et des marques de lot qui permettent de se référer au procès verbal en cas de présomption de fraude.

Les prix de ventes sont fixés par arrêté. Ils varient suivant les pays de l’union, l’administration ayant tenu compte de la richesse des régions et surtout de leur situation géographique. La drogue est ainsi vendu à petit prix le long de la frontière du Laos et du Tonkin pour limiter la fraude.

Le Budget général de 1902, arrêté à la somme de 27 millions de piastres, prévoyait un rendement de 7 millions de piastres pour les ventes d’opium ; en 1905, on avait évalué les recettes du monopole à 8,1 millions pour un budget de 32 millions : c’est donc environ le quart des recettes du budget général de l’Indochine qui était demandé à l’opium.

Année Budget de l'Indochine Recette réalisées par la Régie de l'Opium % Recette / Budget Quantités vendues
1902 27,1 6,8 25% 113,7
1903 29 7,7 27% 123
1904 32,3 7,8 24% 118
1905 31,8 7 22% 107
1906 31,3 6,6 21% 93,3
1907 31,2 7,6 24% 116
1908 32,8 7,8 24% 107
1909 34,5 8 23% 107
1910 35,8 7,8 22% 75
1911 38,3 8,2 21% 61
1912 35,6 8,6 24% 62
1913 35,6 8,8 25% 64,2
1914 35,6 13,1 37% 74,5

 

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 Notable avec ses attributs

 

L'usage de l'opium dans les autres pays

L’opium en chine

Les chinois connaissent l’opium depuis plusieurs siècles. ; son usage fut d’abord restreint aux besoins de la thérapeutique, puis, à une période assez récente, passa dans les mœurs des lettrés dont il favorisait les penchants aux jouissances de la vie contemplative, pour se diffuser ensuite dans toutes les classes de la société.

Les progrès furent rapides, les ravages effrayants. Dès 1729, un édit royal ordonna la fermeture des fumeries publiques et interdit le commerce de l’opium étranger. Mais aucune peine n’était prévu contre les fumeurs ni contre les producteurs locaux. L’édit de 1729 demeura ainsi sans effet.

En 1800, l’importation de l’opium fut frappée d’une nouvelle interdiction ; mais la fraude, grâce aux moyens dont disposait la Compagnie des Indes Britanniques qui dès 1773, s’était réservée le monopole de l’importation de l’opium, s’exerça sur une très vaste échelle.

La lutte contre l’opium étranger aboutit en 1838 à la guerre de l’opium. Le gouvernement impérial , ayant fait saisir et détruire sur les vaisseaux de la Compagnie23.000 caisses d’opium, l’Angleterre déclara la guerre à la Chine. Cette dernière, vaincue, du reconnaître le traité de Nanking, signé en 1842, le droit aux anglais de commercer librement dans 4 ports ; elle leur cédait en outre l’île de Hongkong.

Désormais libre de toute entrave, l’importation d’opium en Chine progressa rapidement. L’apogée fut en 1880 avec 90.000 caisses.  

La production locale augmenta fortement également. Des régions entières s’adonnaient à cette culture, comme le Yunnan.

Le nombre de fumeur, dans l’ensemble du pays, atteindrait 30 ou 40% de la population à la veille de l’édit de 1906.

L’opium en Inde :

L’usage de l’opium est surtout répandu dans le Nord de l’Inde où les indigènes le mangent seul ou le consomment mélangé au chanvre indien (haschich).

La culture du pavot est réglementé dans les territoires soumis à l’administration directe des anglais. En 1906-1907, plus de 1,5 millions de cultivateurs produisent du pavot, essentiellement dans la vallée du gange. Dans les autres territoires, la culture est libre et représente environ 50% de la superficie régie par les anglais. La presque totalité de l’opium des Etats indigène est concentré entre les mains de quelques grandes maisons de commerce de Bombay et de là exporté dans tout l’extrême orient. Ces exportations représentent de substantiels revenus pour le gouvernement indiens, dont les 2/3 proviennent des exportations vers la Chine.

L'opium dans les autres pays asiatiques :

L’Administration des Indes Néerlandaises tire de la Régie de l’Opium d’importants bénéfices.

L’opiomanie, pourtant, n’a pas fait dans la population malaise des ravages comparables à ceux qu’on observe en Chine..

Dans les autres pays d’Extrême Orient, l’usage de l’opium bien qu’assez répandu ne constitue pas encore un danger. Aux Philippines, l’opium n’est consommé que par des immigrés chinois. Les Persans, comme les Theriakhis de l’Inde, font l’usage d’opium allié au chanvre indien. Au Japon, c’est contre l’emploi direct de la morphine par injection que le gouvernement a surtout à lutter.


 

 

 

La lutte contre l'opium 

Le 16 septembre 1906, un édit de l’Empereur de Chine déclarait la guerre à l’opium.

La Commission Internationale de l’opium à Shanghai, 1909

L’Allemagne, l’Autriche-hongrie, la chine, les Etats Unis, la France, la Grande Bretagne, l’Italie, le japon les pays bas, la perse le Portugal la Russie et le Siam y participèrent.

A défaut de décision concrète, cette conférence internationale a aidé à sensibiliser les états sur cette question.

Les Etats Unis prirent ensuite l’initiative d’organiser une 2eme  conférence en 1912 à la Haye,  ou des mesures plus précises furent prises, bien que la Chine ne fut pas en mesure de prouver de l’abandon complet de la culture du pavot sur son territoire.

En Indochine, des mesures commérèrent à être prises, bien qu’il soit difficile d’en préciser la sincère portée, les enjeux financiers étant considérables. Ainsi, dès le mois de juin 1907, un arrêté interdisait l’ouverture de nouvelles fumeries. La hausse des prix constatée sur les années suivants profita néanmoins largement aux finances publiques. Le commerce des stupéfiants fut ensuite réglementée en 1915, d’abord en métropole puis en Indochine.

Concernant l’Indochine, il semble que l’arrêt de la production ne fut réelle qu’en 1954.


Fumeuse de pipe 

 

 

Du pavot à l'opium ...

L’opium est extrait du pavot blanc. Le pavot est cultivé dans des terres élevées qui doivent avant l’ensemencement être soigneusement fumées. On sème en novembre. La floraison a lieu en février. On procède alors à la cueillette des pétales qui serviront à la confection des enveloppes destinées à contenir l’opium. Quelques jours après, on récolte le suc des capsules. Ces dernières sont scarifiées à l’aide de lancettes à 4 ou 5 lames. Les incisions sont faites verticalement de la base au sommet de la capsule. Le latex s’écoule, d’abord d’un blanc laiteux ; il s’épaissit peu à peu et prend une couleur plus foncée. Il faut parfois 4 ou 5 scarifications pour épuiser la capsule.

L’opium est placé dans des vases de terre et laissé au repos ; au bout de quelques jours un liquide particulier le « passewa » se sépare de la masse, on le décante de façon à débarrasser complètement l’opium de ce passewa.

Après décantation, l’opium est laissé dans des vases au contact de l’air jusqu’à ce qu’il y ait la consistance d’une plate semi molle.

L’opium est alors mis en jarres scellées.

Avant la confection des boules, on verse le contenu des jarres dans de grandes cuves ; on l’y fait séjourner jusqu’à ce que l’opium ait la consistance du type étalon, c’est à dire 70% d’opium et 30% d’eau.

Pour confectionner les boules, les ouvriers garnissent le fonds d’une coupe de cuivre légèrement chauffée, d’une couche d’environ 1 cm d’épaisseur de pétales collées les uns aux autres avec un liquide spécial appelé « lewals »

 On introduit l’opium dans la coupe et on le pétrit de façon à lui donner la forme d’une boule, on le recouvre ensuite de pétales imbibés de lewals. Le pain détaché de la coupe est roulé dans des feuilles de pavot pulvérisées puis séchées en plein air.

Les boules pèsent 1,750 kilo ; elles sont emballées dans des caisses contenant 40 boules.

Voir également le site http://jclandry.free.fr sur l'opium

 

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