Métis et Congaies d'Indochine

Douchet - 1928

 

 « la facilité de la vie elle-même, jointe à la dépression morale, à cette sorte de langueur intellectuelle qu’engendre l’adaptation à un climat malgré tout pénible, ont favorisé certaines déchéances, au contact d’une population indigène, toujours prête à favoriser ou à solliciter les faiblesses de celui qui restera toujours le conquérant – et qui a de l’argent » Dr. B. JOYEUX, « le Péril vénérien »

 

Les congaies ont alimenté bien des fantasmes...  tandis que les métis ont provoqué bien des contrariétés ! Au début du siécle dernier, de nombreux romans sont parus sur ces deux sujets connexes. Aujourd'hui encore, on continue de voir fleurir ici et là des essais sur le métissage, preuve de la complexité du sujet et souvent du mal être de ces enfants nés pendant la colonisation.

Mais rares sont les ouvrages qui traitent d'une manière aussi directe - et féroce - la question. Douchet (prénom ?) écrit ce petit livre d'une trentaine de pages en 1928 à la suite d'une expérience malheureuse avec une congaie.. On sent la douleur encore très vive, et une écriture faite sous le coup de la colère. Le style est violent, le verbe haut.

J'ai néanmoins choisi de présenter quelques extraits de ce pamphlet, parce qu'il aborde aussi un sujet moins courant, celui de l'empoisonnement.. 

Le livre est disponible sur le site de la BNF- Gallica.

EXTRAITS

AVANT-PROPOS

Ce livre a été rédigé sans aucun souci littéraire - Il n'est pas présenté sous la forme attrayante d'un roman - L'auteur n'a voulu qu'éclairer les jeunes coloniaux sur les choses d'Indochine, dire la vérité sans restriction aux métis franco- indochinois et à leurs mères en vue de leur amélioration morale.

JEUNES ET VIEUX COLONIAUX

Le terme jeune colonial s'applique à un Français venu à la colonie depuis peu d'années - et il est sous-entendu dans ce terme que ce Français n'a pu encore au comprendre la mentalité des indigènes d'Indochine. Cela est vrai.

Le terme vieux colonial s'applique à un Français ayant vécu de longues années à la colonie et il est sous-entendu qu'il connaît bien la mentalité des indigènes d'Indochine. Mais cela n'est pas toujours vrai et la preuve en est donnée par tous ces mariages ridicules contractés suivant la loi française par des vieux coloniaux avec des femmes indigènes, montrant ainsi à ce sujet leur défaut d'esprit d'observation, défaut qui n'exclut pas d'autres qualités qu'ils peuvent avoir.

Trop de vieux coloniaux ne sont en fait que de jeunes coloniaux.

LES MÉTIS

On peut partager les métis en quatre catégories ;

- ceux abandonnés par leur père et qui vivent entièrement dans le milieu annamite ;

- ceux abandonnés par leur père et qui ont été recueillis par la Société des enfants métis abandonnés.

Les pères des métis de ces deux catégories sont tranquilles et ne risquent pas la prison ;

- Les métis élevés par leur père qui, suivant l'expression consacrée, a, par acte de mariage, suivant la loi française, régularisé sa situation avec la mère. Leur père ne risque pas la prison. Mais il encourt une peine infiniment plus sévère.

Lui de race blanche, en général instruit et de haute valeur morale, il est tombé sous le joug d'une femme de couleur de basse extraction dans sa société indigène et ce joug est dur;

- Les métis élevés par leur père qui n'a pas consenti à contracter un mariage régulier avec leur mère. Celle-ci est blessée dans sa vanité, en comparant son sort à celui de ses camarades qui ont réussi à devenir " Madame Français ".

Le père risque la prison - en raison des machinations ourdies contre lui par sa congaie qui trouvera facilement des faux témoins indigènes croyant faire courber la tête à ce Français par la crainte du scandale mais le scandale est moins dur que le joug sous une femme de couleur.

LES CONGAIES

Leurs mères sont des congaies.

Le terme congaie n'est que la transformation par les Français du mot annamite " con gai" qui s'applique aussi bien à toutes jeunes filles non encore mariées qu'aux femmes de mauvaise vie.

Un Français célibataire débarque à la colonie. Il ne tarde pas à prendre une compagne indigène, car il est pénible d'être seul quand on rentre chez soi et le fait d'avoir une compagne présente de sérieux avantages au point de vue sanitaire.

En général, ces unions sont très éphémères, ne dépassent pas la durée du séjour colonial du Français et bien souvent sont dissoutes avant la fin du séjour colonial du Français.

Les femmes indigènes savent combien sont précaires ces unions. Seules donc les femmes indigènes appartenant aux couches inférieures de la société indigène consentiront à s'y prêter par intérêt et non par affection.

A un autre point de vue, un Français débarquant en ce pays ignorant la mentalité de la race indigène n'oserait pas s'engager dans une union régulière avec une femme du pays, même si cette dernière appartenait à la haute société indigène.

On peut donc estimer sans crainte de se tromper que toutes les femmes indigènes vivant avec des Français, même celles dont l'union a été régularisée sous la forme du mariage, sont de basse extraction de la société indigène.

Ce n'est pas une injure que je leur adresse car celles qui sont honnêtes et dévouées à leur Français ont entièrement mon estime.

[...]

On voit maintenant un peu partout des congaies se pavaner en habits de soie, habiter des maisons luxueuses qui leur appartiennent. Habits et maisons leur ont été donnés par le Français naïf qui bien souvent a disparu prématurément. Leurs mains sont fines car le Français les a dispensées de tout travail. Au point de vue moral, se sont-elles améliorées par leur contact avec le Français ? En général, il n'en est rien: leur moralité a plutôt baissé. Issues des dernières couches de la société indigène, parvenues à une situation matérielle enviable mais sans effort (leur travail ne s'étant généralement accompli que dans la position horizontale), leur mentalité est devenue la mentalité des parvenus et la vanité inhérente à la race annamite s'en trouve chez elles exacerbée.

De reconnaissance envers le Français, il n'en est pas question.

La congaie n'aime pas le Français avec lequel elle n'a consenti à vivre que par intérêt, sans amitié ni amour - elle en arrive même à la haine plus ou moins dissimulée car elle ne peut pardonner à ce Français dès qu'elle a obtenu de sa liaison avec lui suffisamment d'avantages d'ordre financier, de l'empêcher de vivre avec un homme de sa race.

Les débuts de la liaison sont toujours pleins de charmes. La congaie est douce, empressée et même fidèle. Qui ne connaît la célèbre chanson : " la Tonkinoise ".

Mais en général, cela ne dure pas très longtemps. Après un temps plus ou moins long la congaie devient autoritaire, injurieuse, acariatre, heureuse d'exercer, en la circonstance, sur un homme de la race conquérante la revanche de la race conquise.

Les congaies de français forment un clan, ce qui leur permet de se pourrir mutuellement au point de vue moral.

[...]

LE MARIAGE LEGITIME

Et cependant on peut voir ici en Indochine un spectacle invraisemblable, défiant tout bon sens, tout jugement: de très nombreux Français se sont mariés légitimement suivant la loi française avec leur congaie rendant ainsi cette dernière au point de vue légal presque leur égale. Pourquoi ces Français commettent-ils un pareil acte dont l'imprudence et le ridicule leur échappent - plus ou moins.

On peut trouver à cela plusieurs raisons.

Petit à petit ils se sont laissés prendre dans les filets tendus par leur congaie, dont les artifices de femme d'Extrême-Orient leur échappent. Celle-ci, à la faveur de ses enfants métis, arrive à réduire le Français en servitude et ce dernier, en général naïf, ne se rend pas compte que ses enfants métis dont le caractère a été formé par la mère, ne lui sont pas plus dévoués que sa congaie […]

D'autres encongayés ont plus ou moins le sentiment de l'infériorité de leur vie familiale comparée à la vie familiale de français unis légitimement avec des femmes françaises. Ils veulent alors ou se faire illusion à eux-mêmes ou faire illusion aux autres français en contractant un mariage légitime suivant la loi française avec leur congaie, voulant ainsi affirmer qu'une femme jaune est l'égale au point de vue mentalité d'une femme française-.

Les deux femmes sont différentes et la femme jaune est toujours de basse extraction de sa société indigène qui la méprise - même quand elle se pavane en habits de soie payés par le français.

Le français naïf croyant avec sa femme jaune avoir signé un contrat de mariage n'a en général signé à la mairie qu'un contrat d'esclavage et plus souvent que l'on s'en doute son arrêt de mort. Après la signature du contrat la femme jaune ne reste même pas ce qu'elle était auparavant à l'égard du Français, c'est-à-dire une épouse médiocre. La générosité du Français lui échappe et elle n'envisage son acte que comme un acte de naïveté et alors le calvaire du Français commence [..].

LA PRIME A LA MORT

La prime à la mort est le mariage plus ou moins régulier contracté par un Français avec une femme de couleur d'Indochine.

Si le Français est fonctionnaire et a droit déjà à une pension de retraite, sa veuve de couleur éplorée, mais mariée légitimement suivant la loi française, sait qu'elle aussi aura droit à une pension de veuve.

Si le Français non fonctionnaire a quelque fortune, sa veuve éplorée sait qu'à la suite d'un mariage régulier ou par l'intermédiaire des enfants métis reconnus, elle pourra jouir de la fortune de son Français mort.

Un Français pour vivre convenablement et sans luxe en Indochine est amené à faire de grosses dépenses. Lui disparu, sa veuve éplorée qui, elle vit à l'indigène, disposant des revenus que lui a laissés le Français mort, se trouve dans la société indigène, au point de vue financier, mais non au point de vue considération, dans une situation très élevée. Et cela est la prime à la mort du Français trop naïf.

Combien de Français vivant avec des femmes indigènes ont disparu brusquement et prématurément, au grand étonnement de ceux qui les connaissaient ! Pour ceux-là le climat tropical a pu intervenir. Mais bien souvent ils ont disparu par empoisonnement préparé par leur femme indigène qui avait intérêt à leur disparition.

En la circonstance la preuve judiciaire est difficile à établir et je crois que jamais la justice d'Indochine n'a consenti à rendre un verdict déclarant qu'un Français était mort empoisonné par sa congaie.

Beaucoup de Français ont conscience de ces actes criminels et en parlent entr'eux. Personne ne l'a encore écrit. Je l'écris parce que certain de ne pas me tromper aux encongayés, je leur dis ainsi: défiez-vous de vos congaies, si empressées soient-elles auprès de vous ! parce qu'elles peuvent avoir intérêt à votre disparition.

Trop souvent la congaie supprime son Français, dès qu'elle estime qu'il ne lui est plus utile.

LA TERRE DU POISON

La terre du poison, c'est l'Indochine.

En 1904 alors que j'étais lieutenant à la batterie de Lang-son au cours d'une manoeuvre de garnison, je passais une nuit dans une case indigène de Thanh-moi, pays tho race thai. Là j'ai entendu une conversation entre deux Annamites faisant du commerce avec les Tho. L'un disait à son camarade qu'il venait de se marier avec une femme tho. Quoique jeune marié il était cependant inquiet malgré les douceurs de sa lune de miel et disait à son camarade : " Toi không biêt no co ma gà không ". Ce qui veut dire : je ne sais pas si elle a le " ma gà " ma signifie mauvais esprit, gà signifie poulet. Pendant le jour suivant la superstition annamite (tous les Annamites adultes connaissent cette affaire ma gà) le ma gà n'est qu'un poulet inoffensif mais la nuit il se transforme en mauvais esprit en vampire et suce le sang de la victime qu'il a choisie en la circonstance : l'Annamite.

La seule explication de cette superstition est la suivante : qui a voyagé dans la brousse sait bien que en arrivant à l'étape on ne peut trouver comme viande fraîche que du poulet. Si les Tho sont mécontents des Annamites en question et ne veulent plus les voir venir chez eux, par un procédé radical ils les empoisonnent et le poison agit dans la nuit qui suit le repas. Les Tho sont des empoisonneurs.

En pays moï j'ai également entendu parler de deux Annamites commerçants qui ayant mangé un poulet sont morts dans la nuit.

Pendant que ces Annamites insouciants ou fatigués laissaient les Mois s'approcher de leurs aliments, les Mois y versaient certainement le poison.

Alors que j'étais en mission en pays moï de Cochinchine, un de mes tirailleurs détaché seul Annamite pour faire un certain travail en pays moï a commis l'imprudence de donner une giffle à un coolie moï. Cinq jours après le tirailleur tombé presqu'aussitôt malade est mort à l'ambulance de Biên-hoa, accusant formellement les Moïs de l'avoir empoisonné.

J'ai voulu alors me renseigner auprès des Annamites fixés comme commerçants dans cette région moï sur la nature du poison. Je connaissais alors le nom du poison que j'ai maintenant oublié. Un Annamite tenant boutique me l'a montré. C'est une plante ressemblant à du gingembre que des Moïs à titre d'intimidation avaient fait pousser devant la porte de la boutique. Comme je voulais toucher cette plante et examiner sa racine, le commerçant annamite effrayé m'a conseillé vivement de ne pas y toucher. Je n'ai naturellement fait qu'en sourire. En Indochine à tous les procédés d'empoisonnement se mêle la superstition.

[…] Et je suis ainsi amené à citer un fait dont j'affirme la certitude : au Tonkin, un procédé d'empoisonnement consiste à déterrer un cadavre humain, enlever la cervelle plus ou moins liquéfiée et la mélanger aux aliments de la personne que l'on veut supprimer. Dans ce procédé, soit des microbes soit des toxines, peuvent intervenir. Ce poison élixir de cadavre en langue annamite s'appelle " nuoc tâm van toi ", ce qui veut dire eau de cadavre. Le goût en est d'ailleurs très amer et c'est bien l'inverse de la méthode Voronoff !

Dans un tel pays que l'on peut désigner sous le nom de doux pays où est donc le laboratoire de toxicologie où l'on peut faire analyser à ses frais telle substance suspecte ?

Je l'ai essayé au Laboratoire agricole de Hanoi et me suis heurté à une fin de non-recevoir très nette sous la forme personnel insuffisant et j'estime que la réponse était sincère et ne correspondait pas à une incuriosité scientifique.

L'Administration de l'Indochine peut se rendre compte, par mon exposé, que la création d'un laboratoire de toxicologie s'impose et que le service de la justice doit poursuivre avec sévérité toute tentative d'empoisonnement sans attendre que l'intéressé soit mort pour ensuite être disséqué sans résultat."

 

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