Les Messageries Fluviales
Histoire et anecdotes sur l'une des plus célèbres sociétés indochinoises
Tout ceux qui ont vécu en Indochine au début du XXeme siècle s'en souviennent. Ses bateaux furent longtemps incontournables pour circuler d'un point à un autre de la colonie, avant la suprématie de l'automobile. Lieux de rencontre, de détente voire d'aventures, ses vieux rafiots sont restés l'un des symboles de la vie coloniale.
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Livret remis aux passagers, en 1912, sur la ligne
Saigon Phnom Penh.
Sans indication contraire, la plupart des photos sont extraites de cet ouvrage |
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Souvenir d'un vieux journaliste indochinois, Henri Lamagat, paru en 1942
"Au commencement de ce siècle, la colonie n'était pas, comme aujourd'hui, sillonnée de voies de communications qui permettent de franchir, en 5 ou 6 heures, à l'aide d'une voiture de force moyenne, la distance qui séparer la capitale du point le plus éloigné d'elle sur le territoire de la cochinchine. [..]
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Le voie
fluviale, la seule dont on disposait, était certes, beaucoup moins rapide [que
la route]; mais la vie était aussi, il faut le dire, moins trépidante qu'à
l'heure actuelle. Le rythme des affaires allait alors à la même cadence que
les bateaux des Messageries fluviales et des compagnies de navigation
chinoise.[..] Et s'il suffit aujourd'hui à un commerçant qui quitte Saigon
pour Phnom Penh au lever du soleil d'une seule journée pour terminer ses
affaires dans le chef lieu du protectorat voisin, la durée du voyages d'une
capitale à l'autre n'était pas inférieur autrefois à 4 jours pleins. [..]
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La temple du Bayon et, à droite, le bungalow d'Angkor |
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En revanche, combien agréables étaient les traversées qu'on faisait à bord de ces rafiots, si mal aménagés cependant ! mais on avait souvent l'agréable surprise de rencontrer, au hasard d'une escale, des amis perdus de vue depuis longtemps et que l'on était heureux de retrouver ! Au surplus, les 4 jours de navigation qu'exigeait le voyage aller et retour Saigon- Phnom Penh et pendant lesquels on respirait à plein poumons les effluves frais et vivifiants une véritable cure d'air et de repos sans compter les charmes du paysage.
La flotte, en 1912
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Pour tuer le temps, chacun se livrait à son plaisir favori. Les uns jouaient d'interminables parties de manille, voire de poker; d'autres lisaient. En tout cas, l'apéritif et le repas qui étaient pris en commun avec l'état major du vapeur: capitaine, chef-mecanicien et commissaire, étaient toujours très gais, du moins le matin.
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Le long de la route de l'Ouest, le passage par Sadec ( 2007) |
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Il y avait en effet un léger inconvénient, le soir à l'heure du dîner, qui coincidat généralement avec l'arrêt obligatoire des bateaux à Culao Gien, que l'on fit la ligne de l'Ouest ou celle de Phnom Penh. Pendant la saison sèche, le pont des navire, la salle à manger, les cabines, partout enfin ou pouvait filtrer un rayon de lumière, on se heurtait en effet à une véritable invasion de punaises, dégageant une odeur nauséabonde. .. Ce n'était évidemment pas très grave, car un quart d'heure après, autant en emportait le vent [..]
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Savannaket, et, à droite, l'arrivée à Culao Gien (en 2007) |
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La Cie des Messagerie Fluviales de Cochinchine furent fondée en 1881 par un ancien caporal d'infanterie de marine, du nom de Jules Rueff. La société n'a pas cessé de réaliser depuis ses débuts, des bénéfices astronomiques, amortissant son matériel et tous ses immeubles en moins de 20 ans d'exploitation, grâce aux avantageux contrats qu'elle avait passés. Malgré cela, elle s'est longtemps refusée à a apporter à bord de ses unités navigantes, déjà très anciennes pour la plupart, des améliorations qui s'avéraient pourtant indispensables.
Cependant pour leurs voyages, les européens ne pouvaient décemment prendre que les bateaux des Messagerie Fluviales. Les chaloupes chinoises, sans cabines, étaient d'une saleté repoussante et ne servant à leur passager que des mets préparés à la manière annamite, n'étaient pas utilisables par les français. Les Chinois eux mêmes ne tenaient pas du tout à avoir une clientèle dont la présence à bord gênait le plus souvent le "patron" du petit vapeur, dans les opérations lucratives qu'il effectuait en cours de route.
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L'accueil du courrier de France, à Saigon, en 1900, et les horaires des routes internationales en 1912 |
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Chez Rueff, la table et l'hygiène du bord restèrent jusqu'au bout très insuffisante et ce ne fut que vers 1910 que, aiguillonnée par l'approche de l'expiration de ses contrats que la société consentit à placer 4 pauvres cabines [..] et de doter enfin les vapeurs d'une si pale lumière électrique que les passagers devaient renoncer à toute lecture après le coucher du soleil.. Avant ces transformations, les passagers de 1ere classe, qui s'éclairaient au moyen d'une bougie, étaient obligés de coucher dans les cabine du faux pont , voisinant immédiatement avec les chevaux, les bœufs et les cages remplies de volailles [..]
Mais l'arrivée à Phnom Penh, à l'apparition des premiers rayons de soleil, offrait aux passagers un spectacle féerique, ravissant qui n'était pas, il est vrai, dû à une particulière attention de la Cie à leur égard, mais à la seule nature.
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L'arrivée à Pnom Penh |
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Les dômes métalliques des bâtiments du Palais Royal, qu'on apercevait déjà quelques kilomètres avant d'atteindre les 4 bras, scintillaient ainsi que d'immenses et éclatants miroirs dorés, tandis que les splendeurs de la métropole khmers s'offraient à la vue des arrivants, à mesure que le navire remontait lentement le Tonlé Sap jusqu'à l'appontement des Fluviales.
Là, les amis, les flâneurs et les curieux se pressaient à bord pour serrer des mains, donner des nouvelles. Le patron du Grand Hôtel toujours présent à ces arrivées, offrait ses chambres et son beefsteak et venait régulièrement le samedi, prendre livraison du mouton que le courrier lui apportait de Saigon. Cet animal de boucherie, relativement rare au Cambodge, était exclusivement réservé aux pensionnaires et aux amis de l'hôtelier. [..]
On ne pouvait faire aux Français résidant dans ce pays un plus grand plaisir que de leur apporter en débarquant, un gigot et quelques côtelettes.
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On était en somme heureux à bon compte en ce temps là .. Et l'on avait beau crier et tempêter contre l'inconfort et la lenteur des bateaux de la messagerie fluviales, on était bien forcé de reconnaître que s'ils n'avait pas existé, les anciens de la colonie n'auraient pas connu ces bonnes heures là. Et tout cela grâce au petit caporal Rueff qui faisait, en marge de son métier militaire, et avant son "importante entreprise", du petit commerce notamment avec SM Norodom, Roi du Cambodge à qui il vendait tout un tas de rossignol de tous ages et de toutes provenances, jusque et y compris des réveille-matin et des montres à sonneries. Ce Rueff était un malin d'entre les malins[..]
Le mirifique projet [de créer la compagnie fluviale] fut mis à exécution en moins de 2 ans, en constituant, en France, ou il s'était fait libérer, la société des Messagerie Fluviales de Cochinchine, du Cambodge et du Laos qui devait bientôt être nantie d'avantageux contrats avec l'administration de ces 3 pays.
A gauche, la Garcerie, la chaloupe Haiphong et Ham Louong, et l'Argus, au Laos :
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Dans l'affaire, entièrement à l'avantage de la Cie, la Colonie allait être obligé de payer pendant les 25 années du contrat qui la liait à Rueff, à titre de subvention postale, des sommes considérables qui permirent à ce dernier de réaliser, en moins de 3 lustres, une fortune colossale.
Cela n'empêchait nullement la direction d'être d'une avarice à faire pâlir de jalousie tous les Harpagons de la terre [..]
Le matériel égaré et détérioré était imputé à ces employés chichement payés [40 piastres par mois] si bien que parfois leurs appointements mensuels ne pouvaient suffire à faire face à toutes ces retenues. [..]
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L'arrivée de Paul Doumer, nouvellement gouverneur général, sur l'île de Khong |
Et cependant, parmi ces salariés, certains avaient la réputation de bien vivre... Vêtus élégamment, certains d'entre eux trouvaient aussi le moyen d'entretenir des maîtresses et une écurie de courses, comme ce fut le cas du Commissaire P.., à bord du Donai. [..] Mais c'est du commerce - lisez de la contrebande des armes et de l'opium- qu'il tirait les revenus mensuels considérables qui lui permettaient de mener la vie fastueuse de nabab, en Cochinchine. Jamais, ni au Siam ni à Saigon, ni même en cours de route, les agents du fisc ne réussirent, malgré la chasse acharnée qu'ils lui faisaient, à le prendre en fraude.
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La glace et le gigot !
Jusqu'aux dernières années qui précédaient la guerre 14-18, les gérants des bungalows, subventionnés pour fournir aux habitants des centres urbains ou des français de passage, la glace, marchandise absolument indispensable dans un pays comme l'indochine. Mais comme cette glace venait de Saigon par les chaloupes de la Cie Rueff, les tenanciers des Bungalows de l'Extrême Orient, particulièrement ceux de Soc Trang et de Bac Lieu, recevaient à peine la moitié des quantités expédiés par la Glacière Larue; l'autre moitie avait fondu en route, quelques précautions qu'eut prises le personnel du bord pour la tenir dans les coins du navire les moins exposés à la chaleur.
Il arrivait donc, la plupart du temps, que la population manquait de ce précieux réfrigérant au moins 1 jour sur 3.
L'arrivé d'un proche, débarquant avec une caisse de 50 kilos de glace était alors plus que jamais fêté !
Et la joie était à son comble quand, entre les blocs de 15 ou 20 kilos chacun, la main experte d'un professionnel avait soigneusement et habillement glissé un gigot de 5 livres et s'il y en avait à Saigon, une paire de camemberts ou de Reblochons, avec quelques pommes, pêches ou poires, le tout venant en ligne droite de chez le très sympathique Alban Guyonnet, providence des gourmets et autres "fines gueules" du moment.
Quiconque débarquait avec un tel chargement que ce fût à Cantho, à Chau Doc ou dans n'importe quel autre centre, avait le droit d'embrasser la maîtresse de maison !
Qu'est devenu la société en 1930 ?
La société s'est considérablement enrichie et l'on pouvait lire, dans l'Indochine Moderne de Teston et Percheron, paru en 1931:
"Cette société, qui était jusqu'en 1927 une Compagnie de navigation est maintenant un Omnium d'Entreprises Indochinoises. Elle groupe aujourd'hui des intérêts divers qui permettent d'établir un équilibre rationnel entre les différentes branches de son activité.
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Voir également sur le site anai-asso.org la page consacrée aux Messageries Fluviales