Marie 1er , Roi des Sédangs

ou l'histoire rocambolesque d'un aventurier français en pays Moï en 1888

David de Mayréna rêvait d'un grand destin et mis toute sa vie au service de son ambition. A force de ténacité et de culot, il parvint à son rêve : en juin 1888, il est proclamé Roi des Sédangs par les chefs de 42 villages Moïs ! Quelques mois plus tard, un financier anglais de Hong Kong lui propose un accord portant sur plus de 20 millions de francs pour mettre en valeur son domaine... Mais le succès sera de courte durée. Découvrant l'envers du décor, il est rapidement désavoué, et subira les railleries et sarcasmes des français d'ici et de là bas. Traité d'usurpateur, d'escroc, et même de traite à sa patrie, il s'accrochera jusqu'au bout à ses rêves.

 

"Conquérir un royaume" : voilà le rêve fou que Mayréna réussit à mettre en oeuvre. Pour moi, cette histoire reste le symbole d'une époque où tout était encore possible, et notamment la conquête de territoires quasi inconnus avec des moyens dérisoires...

 

 

Sources :

- Bulletin des Amis du Vieux Hué, publié en 1928 et rédigé par Jean Marquet,

- Souvenir d'un vieux journaliste indochinois, Henri Lamagat, 1942

A noter que plusieurs écrivains se sont intéressés à l'histoire de Mayréna. Dorgelès avait commencé des recherches, mais à préféré laisser le champ libre à Jean Marquet. Malraux a, quant à lui, commencé le livre "Le règne du Malin" en 1941, qui fut publié après sa mort (Oeuvres complètes, tome3, édition La Pléiade).. Le roman "Folie exotique (en brousse exotique)" de Chivas Baron (écrit vers 1930) donne également une suite romancée à cette aventure.. On le voit, plus que 50 ans après, Mayréna fascine toujours.

 

 

Les premières années de sa vie

 

Charles - Marie David, le futur roi des Sédangs, est né le 31 janvier 1842 à Toulon.

 

A défaut de pouvoir s'engager dans la marine, il participe, à 21 ans, à quelques actions en Indochine, comme spahi (régiment constitué d'autochtones dans les colonies). Il rentre en France en 1868, se marie peu après, participe à d'autres actions en métropole en 1870-71, ce qui lui valurent le croix de la légion d'honneur. Il est grand (1m82), d'un physique agréable et d'une belle prestance. Que peut il faire ? Il édite ses souvenirs de Cochinchine, devient banquier .. puis, ses affaires tournent mal et il s'embarque à Amsterdam pour Batavia (Jakarta). Là, il vit au crocher le ses compatriotes et finit par se faire expulser... vers la France en 1884. Il a 42 ans. Il réussit à convaincre le Baron Sellière de lui confier 2000 piastres pour réaliser l'exploration scientifique du sultanat d'Atchem (Sumatra). Il repart donc là bas à bord du bateau Vinh Long avec deux autres associés, mais l'affaire tourne court. Jamais ils n'iront à Sumatra, préférant vivre à Saigon avec les 2000 piastres...

 

Portrait de David de Mayréna, futur Roi des Sédangs, en tenue civile

A Saigon, la rencontre avec le Gouverneur Général, M. Constans

 

Il finit par rencontrer le gouverneur Général de Cochinchine, Constans, et obtient une lettre de recommandation du Secrétaire Général, Klobukowsi. On ne sait pas trop pourquoi Constans a fait rédiger cette missive. Toujours est-il que sans elle, rien de tout ce qui suit ne serait arrivé.

 

Sautant sur l'occasion, et fort de la lettre de recommandation, Mayréna s'embarque sur le Haiphong, remonte vers Qui Nhon, puis se rend chez le Résident, Charles Lemire, qui se met aussitôt en quatre pour faciliter la tache de l'explorateur. Mayréna s'arrange aussi  pour obtenir le soutien de l'évêque local qui rédige là encore une lettre à destination des Pères missionnaires.

 

Les tribus Moïs à cette époque

 

A cette époque, les Mois sont encore complémentent isolés. D'abord en raison de leur humeur belliqueuse et indépendante. Ensuite en raison de la réputation d'insalubrité de ces montagnes. Les français sont, quand à eux, occupés par le Tonkin dont la conquête leurs donne bien du fil à retordre. Seuls les missionnaires ont un contact avec les tribus sauvages des hauts plateaux, et notamment lors des événements sanglants de 1885. Ils se sont appuyés sur les guerriers Mois pour échapper aux persécutions déclenchées après la révolte de Ham Nghi.

 

Un chef Moï

 

L'expédition

 

Une expédition est lancée par Mayréna, avec une centaine de coolies. L'objectif officielle est d'aller explorer une région située à l'ouest du Pin Dint et de rechercher les communications naturelles qui pourraient exister entre cette région et la Cochinchine. Charles Lemire, le résident de Qui Non, compte aussi sur l'explorateur pour recueillir tout élément naturel susceptibles de figurer lors de l'exposition universelle de 1889 à Paris...

 

Chacun semblait heureux de partir. Seul, Mercurol, l'acolyte de Mayréna, n'était pas très rassuré et craignait les bandes de pillards.

 

La caravane mis le cap sur Angkè, poste frontière de l'Annam et du pays Moi. Trois jours après, elle fut attaquée par un groupe de pirates Djarais. Là, de Mayréna se montra vraiment un chef en organisant la défense. Il tua de sa main le chef pirate, dispersa la bande puis ... campa sur les lieux !

 

La colonne finit par atteindre le village Mois du grand chef Pim, Kon Jari Tul. Mais les coolies s'enfuient et David Marie doit écrire aux pères missionnaires pour réclamer leur aide matérielle.

 

Pendant ce temps, notre explorateur ne perd pas son temps : il conclut avec les deux chefs Mois un traités d'alliance et d'amitiés. 

 

Carte de la région explorée par Mayréna

 

Les missionnaires, qui finissent par arriver sur place avec leurs éléphants, sont surpris par cette démarche. Mayréna, lui, a les idées claires: "Envoyé par le gouvernement Français, il ne devait en rien compromettre le drapeau français, mais il lui fallait, au contraire, paraître agir uniquement sous sa responsabilité personnelle, en évitant avec soin tout ce qui aurait un caractère officiel. Il devait grouper sous son autorités toutes les peuplades indépendantes. Si l'entreprise réussissait et ne soulevait aucune réclamation diplomatique de la part d'une puissance européenne, l'explorateur passerait alors la main à la France et, en récompense, recevrait la concession de mines aurifères".

 

En compagnie du Père Guerlach, Mayréna poursuit sa route. Les missionnaires constituent une aide précieuse pour Mayréna, un véritable "sésame " pour entrer dans les villages. De plus, ils parlent les dialectes.

 

Mayréna réussit à imposer son autorité grâce à la menace - réelle ou supposée - que les Siamois faisaient courir sur tout le pays et qui menaçait l'indépendance de tout l'hinterland et de ses habitants. Cette menace, associée à l'ascendant des Pères Missionnaires, permet à Mayréna de convaincre les Djarais et les Sédangs de faire la paix avec les Bahnars.

 

Mayréna continue ainsi d'écrire ses traités.

"Les habitants du village de Kon Gung Sui signent un traité avec M de Mayréna et prièrent leur nouveau chef de tirer des coups de carabines. ils aiment à entendre la détonation; ils admirent  la portée et la justesse des armes; mais ce qu'ils aiment le plus, ce sont les douilles vides qui constituent un ornement de premier choix pour les tuyaux de pipes".

 

La devise du Roi des Sédangs: "Jamais céder, Toujours s'aidant"

 

La Constitution du royaume des Sédangs.

 

Le 3 juin, M de Mayréna établit la constitution du royaume Sédang, que les chefs de plusieurs villages signèrent le jour même. Le père Guerlach sert de témoin, d'interprète et de secrétaire.

 

Article premier : les territoires indépendants qui s'allient aujourd'hui prennent le nom de confédération Moï.

 

Article 2 : les territoire Sédang étant les plus considérables dans cette confédération, celle ci prendra le nom de Royaume Sédang.

 

Article 3 : M. De Mayréna, déjà chef reconnu, est élu Roi des Sédangs.

 

Article 4 : La royauté est héréditaire ; mais le roi, s'il le veut, peut désigner un successeurs en dehors de la famille. Toutefois, les chefs de tribus exigent que ce roi soit agrée par tous les chefs, à la majorité des voix.

 

Article 5 : Le drapeau national sera bleu uni, avec une croix blanche à étoile rouge au centre.

 

Article 6 : Le roi a l'autorité absolue. Il commande à tous les chefs civils et militaires, et règle les différents qui peuvent naître entre eux.

 

Article 7: Il décide la guerre et la paix, avec l'assistance d'un conseil composé des chefs des tribus.

 

 

Article 8 : Le Roi conduit les hommes à la guerre ou désigne celui qui doit les commander.

 

Article 9 : Les terres ne sont aliénables aux étrangers qu'avec le consentement des Ténules, et toute aliénation doit être sanctionnée par le Roi.

 

Article 10 : A l'avenir, les sacrifices humains sont interdits. L'esclavage est aboli et aucun Sédang ne pourra être vendu à quelque nation que ce soit. Le vendeur d'un esclave Sédang sera lui  même livré au roi qui l'enverra travailler aux travaux publics du royaume (ajout de juillet 1888).

 

Article 11 : Toutes les religions sont libres dans le Royaume Sédang. Le catholicisme est religion officielle (ajout de juillet 1888)

 

Article 12 : En dehors du Conseil général; le roi nommera un Conseil privé, chargé du courant des affaires.

 

Article 13 : toute modification à la présente constitution devra, pour être valable, être décidé, le Roi présent, par le grand Conseil général.

 

Fait à Kon Gung, le 3 juin 1888.

 

Avec la signature de cette constitution, Mayréna se retrouve à la tête de plus de 25.000 hommes.

 

 Kedra : maître, Dêk : nation; Begueur : qui gouverne, Agna : nom d'une divinité laotienne.

 

La constitution signée, Mayréna crée des services postaux, des douanes, une armée, trois décorations (1er ordre royal Sédang, celui de Ste Marguerite, et le Mérite Sédang), renonce à son titre de citoyen français, lance des proclamations, déclare la guerre, envoie des rapports aux ministres, casse son mariage, rédige une deuxième constitution, règle le cérémonial de sa cour, avec une activité et une facilité vraiment étonnante.

 

Grande croix de l'ordre du mérite Sédang. Rayons en argent, croix et bande en émail blanc. Inscription et étoile en or noir, centre en émail bleu 

 

Proclamation du roi blanc

 

En dehors des libations habituelles, le programme de la journée comportait des combats singuliers à l'arme blanche entre les chefs des diverses tribus.

Le chef des Sédangs sortit victorieux de toutes ces éliminations, après avoir laissé 3 de ses adversaires assez grièvement blessés sur le terrain. Le vainqueur des vainqueur jetait, de temps à autres, un regard de défi vers Mayréna. Celui ci ne fut pas long à comprendre qu'il ne serait vraiment le chef indiscuté de ces hommes, pénétrés du culte de la force, qu'après avoir montré la sienne.

Sa décision était prise et sans même consulté les pères missionnaires, il lança au chef Moi cette apostrophe : " mais moi, tu ne m'as pas vaincu". Le chef sauvage avait compris et il reprit son sabre tout en offrant l'autre au Roi.

- Malheureux, qu'allez vous faire là ? se récrièrent aussitôt en français les deux prêtres.

- Ne craignez rien .. ce gaillard là a besoin d'une leçon pour être ramené à la raison et à l'obéissance..."

Et l'épéiste distingué des salles d'escrime parisiennes, de s'aligner immédiatement, un lourd et encombrant sabre Moï en main, contre le chef Sédang.

Sans que celui ci pu seulement lui placer une touche, le français désarma son adversaire par trois fois.

Le Moi dut s'avouer vaincu. Mais Mayréna, comprenant que le sauvage, humilié de son triple échec, préparait une vengeance, à sa manière, c'est à dire mortelle et dans l'ombre, s'avance vers lui et lui dit

- ce n'est pas moi qui t'ai vaincu. Ce sont les génies de mon pays d'occident, qui sont toujours et partout avec moi et qui me rendent ainsi invulnérable, pour me permettre de régner longtemps sur vos tribus et faire leur bonheur.

Ce cataplasme si habilement et opportunément appliqué sur la blessure faite à l'amour propre du chef indigène avait, en un rien de temps, raillait autour de lui toutes les tribus.

 


 Portrait de Mayréna en tenue militaire

 

Quelques artifices pour faciliter l'adhésion des tribus

 

Mayréna n'ignorait pas que les hommes des tribus étaient toujours armés de flèches empoisonnés au curare et qu'ils s'en servaient indifféremment contre les fauves, contre le gibier comestibles.. et les étrangers - européens et asiatiques - dont ils estimaient la présence indésirable chez eux.

La prudence avait donc suggéré à l'envoyé de Constans de se prémunir, au moyen d'une cotte de mailles, contre le danger de ces flèches, le plus souvent lancés par d'adroits tireurs, d'un coin de forêt ou ils restent invisibles.

C'est pourquoi un jour que le chef des Sedangs, à qui il arrivait parfois de douter que Mayréna fut invulnérable, demande l'épreuve des flèches. Le conquistador hésita d'autant moins à accepter de se prêter à l'expérience qu'il avait toujours sur lui cette cotte salutaire.

 

Un Moï, deux Moïs, puis trois Moïs tirèrent sur lui à bout portant. Les pointes empoissonnées des flèches se brisèrent sur la tunique protectrice et retombèrent au pied de la .. cible, restée debout et vivante, ce qui renforça encore l'admiration des Moïs pour le chef qu'ils s'étaient donnés.

 

Les choses faillirent mal tournées lorsqu'on lui demanda s'il consentait à laisser tirer sur lui avec son propre revolver.. Mayréna, qui n'était jamais à cours d'arguments, répliqua qu'il ne fallait pas indisposer les Génies en répétant séance tenante une telle opération, qui pourrait à la longue, leurs sembler une bravade. Mais il ajouta que rien n'empêcherait de faire, le lendemain, une seconde expérience, à laquelle il se déclarait heureux de se prêter.

 

De la sorte Mayréna eut toute la nuit pour préparer la comédie qu'il allait leurs jouer.

A la place du plomb contenu dans les balles, il mis des boulettes de coton qui, sous l'action d'un colorant approprié, prirent la teinte des projectiles.

L'expérience eut lieu le lendemain; ce fut Mercurol, le complice de Mayréna, qui tira.

Les boulettes en coton s'en allèrent en fumée, brûlées par la charge de poudre à laquelle l'amorce mettait le feu à chaque coup tiré.

Les Moïs ne s'aperçurent nullement de la supercherie et de Mayréna essuya bravement, sans sourciller, les cinq coups de feu lâchés sur lui, à bout portant, par Mercurol. Après quoi, crachant aux pieds de ses sujets ébahis les balles qu'il avait pris la précaution de mettre dans sa bouche à leur insu, il leur dit :

- vous voyez bien que rien ne peut m'atteindre. Au fur et à mesure que les projectiles partaient du pistolet, je les ai avalés et je vous les renvoie, il n'en manque pas un !

Ces êtres simplistes déliraient littéralement. Ils avaient enfin trouvé un chef aimé et protégé des Dieux, qu'ils étaient prêts à suivre n'importe ou.

 

Pendant toute la durée de la cérémonie, le nouveau monarque avait revêtu un véritable uniforme d'apparat : dolman bleu sur le drap duquel scintillait broderies et galons d'or, avec le pantalon blanc traditionnel que portaient tous les coloniaux de cette époque et, pour que ce costume fut aux couleurs françaises, une ceinture rouge serrait la taille de Marie 1er. Une épée en clinquant, de la poignée à son extrémité, complétait cette brillante tenue royale.

 

Comment rentabiliser son affaire ?

 

Jusque là, tout paraissait marcher à merveille pour le roi des Moïs. Le seul point noir résidait dans le coté financier de son affaire.

Mais comment remédier à une telle lacune dans un pays neuf, de mœurs primitive, dont les habitants n'étaient nullement préparés à payer les contributions, sans lesquelles un régime qu'il soit, de forme monarchique ou républicaine, ne saurait vivre ?

Pour pallier à cette difficulté, de Mayréna s'avisa, de créer des ordres honorifiques: l'Ordre du Royaume des Sedangs, l'Ordre du Mérite Militaire et celui du Mérite Civil.

 

Il fit, dans les premiers temps surtout, un commerce assez lucratif de ces diverses ordres, non en Indochine, mais surtout dans les pays voisins, à Hong Kong et à Bangkok notamment.

 

 

 

Les félicitations du résident de Qui Nhom

 

Aux 1ers jours de septembre 1888, la ville de Qui Nhom eut une grande et joyeuse émotion : Marie 1er daignait la visiter, ou pour dire vrai, Sa majesté, délaissant pour peu de mois son royaume montagneux, descendait dans la plaine afin de défendre son bien et aussi de chercher des capitaux pour mettre en exploitation les immenses richesses du Deh Sédan...

 

Marie 1er est félicité par C Lemire, qui donne un repas officiel en son honneur.

 

En transmettant au Gouverneur Général la constitution de la fédération, Lemire ajoute ceci : " De Mayréna poursuivra par tous les moyens, quels qu'ils soient, l'indépendance et la reconnaissance de son royaume des Sédangs.. S'il est reconnu Roi, il acceptera les propositions qu'il aurait reçues des allemands, des siamois, des anglais et des chinois. Il consent à ce que la France se substitue à lui chez les Sedangs, sous condition d'une honnête indemnité ou d'une annuité... Que faire ?"

 

Pendant ce temps, Marie 1er, dont la devise royale est "Jamais Céder, Toujours s'aidant" raconte par voix de presse son expédition, raconte comment son intervention empêcha l'accès aux Prussiens de ces territoires... Il explique aussi disposer de 10.000 guerriers...

 

Diplôme de Commandeur de l'Ordre royal Sédang, au nom de M Lemire, qui l'a refusé et annoté.

 

Voyage à Hanoi

 

Pour mieux convaincre du bien fondé de sa démarche, Marie 1er décide d'aller à Hanoi, pour rencontrer le Résident Général de l'Annam Tonkin.

A peine est il au Tonkin qu'il met sous presse les diplômes de l'ordre de Sainte Marguerite et qu'il passe commande de 200 costumes militaires et des costumes d'apparat à un chinois, qui, tombé sous le charme du personnage, vend son fonds et s'apprête à le suivre à Hong Kong..

 

Malgré de longs articles de presse paru dans le courrier de Haiphong, Mayréna n'arrive pas à convaincre.

 

Il s'embarque alors pour Hong Kong le 11 novembre 1888, en compagnie du chinois, et de 3 domestiques annamites.

 

 

Fac similé de l'écriture et de la signature de Mayréna

 

Accueil royal à Hong Kong

 

L'accueil est autrement plus chaleureux !

Marie 1er raconte : "Je me suis rendu à Hong Kong, sur territoire anglais. Le Times de Londres avait fait les plus grand éloges sur moi ; tous les journaux locaux étaient pour moi. En arrivant ici, j'ai fait passer ma carte au Gouverneur ; nous étions arrivé ici à 1h du matin ; à 7 heures, l'aide de camp du Gouverneur était chez moi. Je fis ma visite en grande tenue : pantalon blanc, bande d'or, dolman rouge, grand cordon de Ste Marguerite. Le gouverneur a causé avec moi pendant 1 heure, la carte sous les yeux. Le Dimanche, il y avait un grand dîner, toutes les notabilités anglaises [..]

Le consul m'a dit "Maintenant passons aux choses sérieuses, c'est à dire à l'organisation". Le consul effectue des démarches auprès du directeur de la Chartered Bank. Celui ci est venu me voir hier avec le consul et m'a proposé de faire un capital de 20 millions.. Dimanche, je dîne chez le consul avec les financiers pour finir cette question".

 

Toutefois, en décembre, les difficultés s'accumulent... Une histoire de fausse traite de 200.000 francs jette le discrédit sur le personnage. La France le rejette, les anglais, enfin avertis, le repousse. Mayréna va commettre une ignominie, proposer "son royaume" à l'Allemagne ! Lui qui avait combattu si vaillamment en 1871...Tout le monde s'écarte alors de Mayréna.

 

En Indochine, le sujet commence à passionner l'opinion publique. La presse - Le Courrier d'Haiphong - relate les principaux faits et fait témoigner les principaux protagonistes, dont le père Guerlach. Ceux ci défendent leur honneur et se plaignent d'avoir été abusé par Mayréna.

 

Timbre du royaume Sédang

 

La fin annoncée

 

Le Gouvernement Général de l'Indochine, désirant en finir avec cette histoire de royaume indépendant, chargea tout de suite le nouveau résident de Binh Djinh, M Guiomar, d'une mission en pays Moi.

Aidé par les Missionnaires, le Résident assembla aussitôt les chefs des 42 villages qui avaient liés partie avec Marie 1er. Au cours de cette palabre, tous les Mois qui, un an auparavant, avaient si légèrement juré fidélité à leur Roi jurèrent avec une naïveté aussi spontané, fidélité à la France...

Ceux qui détenaient encore des traités les remirent à M Giomar, ceux qui détenaient des pavillons bleus les truquèrent contre des drapeaux tricolores.. Nous étions le 2 avril 1889.

 

Retour en France

 

Le 20 janvier 1889, Mayréna s'embarque pour Gênes, grâce à une souscription ouverte à Hong Kong. Avant de quitter la ville, Mayréna a tenu de menacer encore la France: Il se propose, dès son arrivée en France de créer de l'agitation grâce à ses relations avec les chefs de partis bonapartistes..

A Paris, l'aventure de Mayréna ne fut jamais reconnue par les gens sérieux autrement que comme une aventure nouvelle, et rien de plus.

 

Pour l'homme de la rue, c'est un héros. Le 23 février 1889, le tout Paris des boulevards acclamait donc Marie 1er.

 

Marie 1er cherche, lui, la reconnaissance de son royaume par la France et de l'argent. Alors il parade et signe des décrets pompeux. Il commence par épouser une troisième reine. Il nomme successivement un chambellan, un secrétaire de maison, écrit des lettres aux ministres.

 

Sa royauté et sa personne sont évidemment accaparées par la mode et un catalogue d'un grand magasin de nouveautés lance le pouf Mayréna...

 

Il part à Ostende visiter l'exposition congolaise et rencontre M Somsy, un riche industriel belge. Par son argent et son influence, il va donner une nouvelle orientation au monarque désespéré. Il est promu sur le champ Duc de Sédran et de Sépyr.. Il paye les dettes royales, avance l'argent et organise l'expédition qui va permettre à Mayréna de rejoindre ses terres Sédanes; moyennant quoi M Somsy aura le tiers des bénéficies sur l'exploitation du Royaume..

 

Le retour en Asie et la panique en Indochine...

 

La traversée permet à Mayréna de fêter à bord ses 48 ans et d'organiser des dîners que financent ses généreux mécènes. A ses cotés, il y a maintenant 5 officiers, et 2 domestiques recrutés à Port Said.

A son arrivée à Singapour, c'est l'affolement général en Indochine. Le télégraphe crépite. Ordre est donné au Commandant de la Marine de maintenir dans le port de Qui Nhom un navire de guerre pour empêcher le débarquement de Mayréna. Quand à la Douane, ses jonques armées et autres chaloupes sont tenues de surveiller les moindres criques de la coté d'Annam.

Plus sérieusement, un mandat d'amener est lancé contre Mayréna pour escroquerie.

L'Indochine est à la fois affolée et amusée, tant les propos du Roi des Sedangs ont été amplifiés ou même simplement pris au sérieux. Le Courrier de Haiphong n'annoncent ils pas que Marie 1er est accompagné de trois généraux et de deux capitaines qui l'aideront à reconquérir son royaume ?....

 

Marie 1er lui, à Singapour, continue à parader, à bluffer. Il a pris une femme malaise, Aïsa, avec qui il s'est marié à la mosquée, suivant le rite musulman. Car il se déclare maintenant s'être converti à l'islamisme et vouloir recruter des prêtes pour propager la doctrine de Mahomet chez les Sedangs, ce qui embétera fort bien les missionnaires catholiques, qui ont eu l'outrecuidance de renier leur allié....

 


Marie 1er en musulman

 

Mais entre temps, on apprend que la mission Pavie vient de planter définitivement le pavillon français en pays Moi et que le Siam, qui renonce à toute prétention sur la rive gauche du Mekong, a non seulement assuré le Gouvernement de l'Indochine que Mayréna ne serait pas autorisé à traverser le territoire siamois pour gagner Kon-Toum, mais que, de plus, ordre vient d'être donné à une canonnière siamoise de s'opposer au débarquement de Marie 1er...

 

L'agonie

 

Marie 1er décide alors de quitter Singapour et de se réfugier sur la petite île de Tioman, à l'Est de l'état Malais de Pahang dont elle dépend. Cette île, située à 100 miles de Singapour, n'a si peu de ressources que l'approvisionnement doit se faire depuis les ports de Kuala Rompin et de Kuala Endan. 

 

 


 Harold Scott

 

Les Belges quittent Marie 1er. Deux français le rejoignent le 10 juillet 1890 : Horace Villeroi et Harold Scott. Tout deux à bout de ressources et sans position. Il est probable qu'ils rejoignent Mayréna pour tenter une aventure de plus.

 

Horace Villeroi meurt de fièvre le 15 Septembre.

 

Et le 11 novembre 1890, c'est au tour de Mayréna... Officiellement, sa mort est liée à une morsure de serpent. On parlera plus tard d'un possible empoisonnement orchestré par Scoot, mais cette thèse n'a jamais pu être confirmée.

 

Le duel Mayréna - Scott. Réalité ou fiction ? 

 

Marie 1er repose dans le petit cimetière Malais de Kuala Rompin.

 

Ainsi s'achève l'éphémère souveraineté de Marie 1er, roi des Sédangs....

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