La Route du plus fort
George Groslier - La Route du Plus Fort - 1925 - Edition Kailash
Cette page est dédiée à Anne Karen
Extraits
La demande en mariage ...
"Vétônéa, belle fille à l’écharpe couleur « graisse de crabe », je te prends à partir d’aujourd’hui pour épouse. Je te donnerai 45 piastres par mois. Voici, ici, deux chambres et là, une autre, pour se laver. Tu vois, là bas à l’Ouest, l’escalier. Il conduit à une porte par laquelle tu entreras et sortiras à ton gré. Voilà ton domaine.
Tu pourras
y dormir, fumer, coudre, tresser des fleurs, prendre ta douche 10 fois par jour
et recommencer. Bien entendu, tu ne cracheras pas par terre et tu ne chiqueras
pas de bétel. Tu pourras chiquer le bétel dehors, à condition que je ne
m’en aperçoive pas et que tes dents restent blanches. Tu comprends ?
Bien ! Ca n’est pas difficile à comprendre. Maintenant, il est
absolument défendu d’aller ailleurs qu’ou je t’ai dit. Même lorsque la
maison sera vide, interdiction de passer par les grands escaliers, de traverser
les autres pièces, de te montrer dans les salons, de paraître aux fenêtres de
la façade. Si tu désobéis, la premières fois, je te rappellerai ces
prescriptions, la deuxième je te punirai, et la troisième, nous divorcerons.
Tu comprends aussi cela ? Çà n’est pas plus compliqué que le reste.
Ta mère
est une honorable femme et je l’aime beaucoup. Voilà deux cents piastres que
tu vas lui donner en la priant de quitter Sangkè et d’aller, par exemple, à
Kralanh
J‘enverrai
au Gouverneur des instructions afin qu’il lui donne un petit terrain et lui
construise, à mes frais, une paillote.
Vétônéa
joignit mes mains, les éleva à hauteur de son front. Ternier continua :
- ne me
remercie pas. Celui qui honore ses parents, s’honore lui-même. Ta mère va
donc aller à Kralanh. Elle y sera bien et surtout vivra à 80 kilomètres
d’ici, car notre mariage comporte une nouvelle et dernière condition :
je ne veux pas que défile à la résidence toute la province, de vieilles
bonnes femmes chaque jour renouvelé et qui seront toujours tes tantes et des
gamins de toutes tailles, invariablement tes petits frères. Cela, c’est pour
ton bien, d’ailleurs, et t’évitera beaucoup de soucis.
- Voilà. Ton intérêt est de te tenir tranquille et tu seras heureuse. Regarde, c’est beau ici, grand. Fumer une cigarette sur ce lit vaux mieux que d’aller pêcher des anguilles dans la vase, au soleil. Si tu es gentille, je t’achèterai des sampots, une ombrelle en dentelle, des parfums et un sac à main, tout ce que tu voudras. Véténoa, fille chérie, je te trouve belle. Je t’aime déjà beaucoup. Veux tu, maintenant que je t’ai parlé et que tu connais tout, rester avec moi ?"