Le quartier Long Tho à Hué

L'origine de la tradition de la céramique

 

(d'après le Bulletin des Amis du Vieux Hué, 1917, article de M Rigaux, Directeur des Établissements de Long Tho)

En remontant les sinuosités du fleuve des Parfums, et légèrement en aval de la pagode Thien-Mu, mais sur la rive opposée, se trouve une faible éminence qui porte le nom de colline du Long-Tho. A l'époque, cette colline est d'une beauté " champêtres " et dotée d'une position géographique exceptionnelle. Elle est en effet située à proximité de la grande capitale, sur des hauteurs qui lui permet de défier les plus fortes crûes du fleuve, et dotée d'une carrière d'argile facile à exploiter. C'est l'ensemble de ces avantages qui poussèrent probablement l'Empereur Gia Long à y installer une industrie céramique.

En la cinquième année de Minh-Mang, en 1824, la colline du Long-Tho prit le nom de Long-Tho-Cuong, et au sommet y furent édifiés un kiosque de forme octogonale, dénommé Long-Tho-Cuong-Dinh, et une stèle commémorant ce souvenir.

La stèle, encore visible en 2012, et sa description dans le bulletin des Amis du Vieux Hué de 1917. On reconnaît le caractère Tho (longévité)

Naissance d'une industrie

En 1810,  l'empereur Gia Long publia une ordonnance impériale qui prescrivit au Chinois Ha-Dat, chef de la congrégation de Quang-Dong (Canton), de louer trois fabricants de tuiles de Quang Dong et de les faire venir à Long-Tho, pour fabriquer des tuiles de diverses couleurs ; bleues, jaunes, vertes. 

Sous la direction de ces Chinois, les Annamites apprirent rapidement cette industrie. La mission de ces Cantonnais étant terminée, ils rentrèrent dans leur pays en emportant des récompenses impériales.

Au départ, l'argile fut prélevée au pied de la colline du Long-Tho, dans la partie comprise entre l'usine actuelle de la Société des Chaux hydrauliques du Long-Tho et le village de Nguyet-Bieu. Cette argile servit à fabriquer des briques mandarines et des tuiles ; Peu après,  le banc d'arfile fut complètement délaissé dès lors qu'on commença à utiliser les fours à émaillage. 

Les fouilles réalisées vers 1917 atteste d'un long tâtonnement empirique pour essayer d'améliorer les bons procédés de fabrication... Furent trouvé en effet une quantité importante de briques, tuiles, carreaux, fendus, imparfaitement émaillés, trouvée à 6 mètres de profondeur...

Plan de l'emplacement des anciens fours et de la stéle  (Bulletin des Amis du Vieux Hué 1917)

Tous les produits céramiques existant à Hué et dans ses environs, furent fabriqués au Long-Tho et d'après les procédés indiqués par les trois Cantonnais, qui comprenaient deux opérations successives : 

1º - Cuisson des produits dans des fours discontinus. 

2º - Émaillage ou vernissage des terres cuites dans des séries de fours à forme semi-ovoïde.

 

Tuiles vernissées utilisées pour les pylônes du tombeau de Tu Duc (bulletin des Amis du Vieux Hué de 1917)

Prospérité de Long Tho

Vers 1880, la prospérité du Long-Tho au point de vue céramique, était de notoriété publique : près d'un millier de potiers y travaillaient, dépendant directement des Ministères des Travaux Publics et de la Guerre. Les potiers étaient des "linh potiers" c'est à dire du personnel rattaché à la cour. 

Le combustible employé était le bois, et provenait de la province de Quang-Tri qui payait ainsi son impôt. La fabrication intense était d'environ huit mois, pendant lesquels le défournement mensuel de tous produits se chiffrait approximativement par 200.000 pièces.

Voici succintement l'exposé de cette fabrication : on recevait par le fleuve l'argile grise, qui était découpée en fines lanières, puis pétrie et mise à tremper, dans de grandes fosses pleines d'eau, pendant deux mois. Durant ce laps de temps, le sable et le quartz étaient ajoutés, après avoir été tamisés. Cette boue était écrasée et divisée en de nombreuses galettes, puis transformée en carreaux, tuiles dragons, etc., au moyen de moules en bois, dont la compression, insignifiante, était donnée par un ouvrier poissant au pied la matière plastique dans sa forme. Le produit, démoulé aussitôt, restait à sécher à l'air libre pendant quelques jours et passait ensuite à la cuisson dans l'un des fours à ciel ouvert. Chaque four contenait indifféremment des briques, des tuiles, des carreaux ajourés, et demandait un délai, de l'enfournement au défournement, variant de 30 à 40 jours. On estimait qu'une fournée avait été bonne lorsque l'on retirait 30 à 40 % des produits enfournés. Les ratés provenaient de multiples raisons, dont les premières étaient les dimensions des fours, la nature du combustible employé et souvent les qualités du chaufournier, qui courtisait plus souvent Morphée que Vulcain.

Cette industrie céramique se maintint, malgré ces défectuosités ; tous les produits étaient destinés aux constructions édifiées par les soins de la Cour qui, en exigeant de jolis sujets, ne tenait pas toujours compte du prix de revient. Le combustible et les matières premières étaient versés comme impôts en nature par certaines provinces ; 

Détail de la balustrade du pont des Eaux d'Or, devant la porte Ngo Mon (entrée de la Citadelle - cité interdite) (illustration Bulletin des Amis du Vieux Hué 1917)

La fuite du roi Ham Nghi et ses conséquences

En l'année 1885, après la fuite de Ham-Nghi l'armée annamite ayant été dispersée, les céramistes retournèrent dans leurs provinces. Certains y établirent de petits fours à céramique, à Qui-Nhon et au Thanh-Hoa.

 Quant à l'installation annamite du Long-Tho les typhons se chargèrent d'abattre les bâtiments en paillotes, couvrant les fours; les riverains continuèrent l'œuvre de dévastation, en venant de temps à autre démolir les fours pour construire leurs habitations d'une manière plus confortable ; enfin, la nature à son tour reprit ses droits, en ensevelissant ces vestiges d'activité industrielle sous un tapis de verdure.

Pendant 25 ans, l'art céramique déserta le Long-Tho. 

La renaissance

Puis, vers 1909, la nécessité de recouvrir le salon et la salle à manger du palais impérial incita le Ministre des Travaux Publics à demander à M. Bogaert, industriel installé au pied de la colline du Long-Tho, qui avait monté sur cet emplacement une usine destinée à la fabrication de la chaux hydraulique, de rechercher les secrets de la fabrication des tuiles vernissée et émaillées. 

Un petit four chinois fut construit à cette époque et donna quelques résultats, permettant, après plusieurs modifications, d'arriver à fournir les tuiles demandées, strictement conformes aux types recouvrant d'autres bâtiments du Palais. En raison de cet effort et des demandes antérieures appuyées par Messieurs les Résidents Supérieurs Lévêque et Groleau, la colline du Long-Tho fut donnée en concession à M. Bogaert.

Jusqu'à cette date de 1909, la Cour d'Annam se réservait cet emplacement, illustré par le passage des grands empereurs qui venaient souvent visiter leur industrie céramique. Tu-Duc y passait quelques jours par an, au moment des fortes chaleurs, l'air étant vif, le site enchanteur. Les hauts mandarins réfléchirent longtemps avant d'autoriser un industriel d'Occident à bénéficier de cet emplacement… Bref, la concession accordée, l'usine moderne du Long-Tho pu continuer son développement, et, tout en visant un but de prospérité commerciale, ne se désintéressa nullement de la question artistique. La Société des Chaux hydrauliques, qui succéda à M. Bogaert, continua l'effort…

Des fours plus vastes furent construits. 

La mesure des hautes températures est rendue plus facile par les travaux et inventions de Seger et Le Châtelier. Le problème de l'accord des pâtes et des émaux, qui, si longtemps, a semblé insoluble, a trouvé sa solution, des procédés ingénieux ont permis de mesurer la dilatation des pâtes et des émaux pendant la cuisson et d'établir la loi de leur accord. 

L'usine du Long-Tho arrivait à reproduire fidèlement les types de céramiques fabriqués à l'époque des grands Empereurs d'Annam, à des prix infiniment moindres. D'une moyenne de 40 % de casse, donnée à la première cuisson par les procédés locaux, on tomba rapidement à 5 %, et on se maintient à 2 % à peine dans les opérations de vernissage et d'émaillage. Aux deux teintes, jaune et verte (plomb et cuivre),furent ajoutées progressivement :le violet (oxydes de manganèse et de cobalt), le bleu (oxydes de cuivre et de cobalt), le grenat (oxydes de manganèse et d'antimoine), le Céladon (oxydes de cuivre, de manganèse et de fer).

Le besoin de décorer les façades des maisons et villas de couleurs plus vives et plus gaies, les nécessités d'une hygiène de plus en plus rigoureuse ont permis le développement de l'industrie céramique appliquée au bâtiment. 

(d'après le Bulletin des Amis du Vieux Hué, 1917, article de M Rigaux, Directeur des Établissements de Long Tho)

La Société des Chaux Hydrauliques

Dans l'Eveil Economique de 1924, on pouvait lire :

"En 1923, la société des chaux hydraulique du Lang Tho exploite les carrières de pierres à chaux hydrauliques qui se trouvent à Lang Tho prés de Hué. Les calcaires sont soumis à un triage préalable effectués à la carrière d'après leur aspects puis sont envoyés à la cuisson. La chaux est éteintes puis passe au moulin et à la bluterie et est ensachés ou embarrilés. La production actuelle est de 12.000 tonnes de chaux hydraulique par an et 540.000 pièces de carreaux en ciment et divers produits céramique et réfractaire. "

Usine vers 1922

Autre information sur la société : 

AEC 1922/719 — Sté des chaux hydraulique du Lang-Tho 1, rue de Stockholm, PARIS (8e). Capital. — Sté an., 600.000 fr. en 1.200 actions lib. Objet. — Fabrication et commerce de la chaux hydraulique, de carreaux, de ciment et de céramique et spécialement l'exploitation de l’usine des anc. Établ. Bogaërt à Lang-Tho, près de Hué (Annam). Conseil. — MM. É. Candlot, présid. ; [C.] Barthas, R. Ferrant, A. R. Fontaine, L. Fontaine [ces deux derniers contrôlant les Distilleries de l'IC].

AEC 1951/1064 — Sté des chaux hydrauliques du Lang-Tho 1, rue de Stockholm, PARIS (8e). Capital. — Société anon., 2.250.000 fr. en 6.000 actions de 375 fr. Iibérées (précédemment 3.000.000 fr. réduits au chiffre ci-dessus par remboursement de 125 fr. par action). Objet. — Fabrication et commerce de la chaux hydraulique, de carreaux, de ciment et de céramique et spécialement l’exploitation de l’usine des anciens Établissements Bogaërt à Lang-Tho, près de Hué (Centre Viet-Nam). Conseil. — MM. Ch. Candlot, présid. ; C. Barthas, L. Boyaval, M. Ferrant, P. Thomann, admin.

(contribution: Y Léger)

La société des Chaux Hydraulique est liée financièrement à la société des ciment Portland.

Publicité parue dans l'Evéil Economique dans les années 20 et 30.

L'usine aujourd'hui (2012)

L'usine continu de produire du ciment pour la construction ainsi que des carreaux qu'on retrouve un peu partout au Vietnam le long des trottoirs.... Il est prévu que l'usine déménage d'ici quelques années afin de limiter la pollution.

 

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