De Saigon à Angkor en automobile...
(1908) "La
ville au bois dormant"
Duc
de Montpensier
En février 1908, le Duc de Montpensier arrive à Saigon via le paquebot “Le Polynésien”. L’expédition qui a pour but de relier Saigon à Angkor par voie terrestre s’augure mal. En déchargeant l’automobile de “L’Annam”, deux semaines plus tôt, le câble casse et l’auto tombe en fond de cale, dix mètres plus bas. Elle sera réparée. “Rien dans le châssis ni le mécanisme ne garde trace du choc. Vive les Diétrich !”
Quant
à l’expédition, tous les renseignements concordent : c’est de la pure
folie. Qu’importe, le raid démarre. Le Duc est notamment accompagné de Guérin,
de Gustave de Bernis et d’un
guide-interprête-cuisinier qui les quittera en cours de route... “
Extraits
La
départ ...
“Nous
emportons deux jours de vivre, des pneus de rechange, des provisions d’essence
et la seule carte de la région qui nous paraisse mériter ce nom. Une belle
carte de dimension imposante, fortement entoilée et toute bariolée de noms et
de références. Elle n’a qu’un défaut : c’est que l’on ne trouve
jamais ce qu’on y cherche. Mais les cartes ne servent-elles jamais à autre
chose qu’à inspirer le goût des voyages à ceux qui restent chez eux.”
Avec
l’approbation du guide, ils feront leurs premiers 15 kilomètres en sens
inverse... puis enfin, ils sont dans la bonne direction :
“...Les premiers mètres ne valent pas grand chose mais en revanche les suivants, et ils sont beaucoup, deviennent bientôt abominables : c’est une consolation. Les ornières se creusent, sous nos roues, de plus en plus profondes et sablonneuses. Le carter commence à donner des signes d’inquiétude... maintenant la route s’enfonce dans la forêt, on se croirait dans un tunnel végétal. Le grand mystère de la forêt nous enveloppe, le chemin devient si étroit que les marchepieds éraflent les troncs d’arbres. Et le tunnel se complique d’un labyrinthe, c'est un tunnel en spirale. Comme nos roues, ce maudit sentier tourne toujours et son étroitesse rend la direction très pénible. Il ne faut point s’en étonner, c’est un trait commun de tous les sentiers de charrette de mépriser les lignes droites. Ils font consciencieusement le tour de tous les obstacles. Souvent même, ils tournent pour rien, pour le plaisir.”
Les distances ..
Toujours
l’inconnu : “...La distance de
Tay-Ninh à Kreck serait d’après le topo de 90 km environ... mettons 200 pour
en pas risquer une amère désillusion car la distance
est évaluée à vol de télégramme. C’est en effet la longueur du fil
télégraphique qui réunit les deux villages. Cette route aérienne bénéficie
de tous les avantages que les géomètres s’accordent à reconnaître à la
ligne droite : elle ignore les malicieux sentiers qui tournent sur place..”
Une
arrivée triomphale à Angkor..
14
avril 1908 “...
C’est le grand jour, notre bonne et brave voiture va connaître enfin les
joies du triomphe, il va lui être donné d’accomplir un exploit que nulle
autre voiture ne pourra lui disputer. Dès 7 heures du matin, quand nous
arrivons à la grande chaussée de l’étang, des milliers de cambodgiens y
sont groupés pour voir passer la fameuse voiture de feu... La voiture escalade
sans peine les deux marches d’accès à la chaussée et roule vers le temple...enfin,
la voiture entre dans l’enceinte sacrée par
cette glorieuse porte des Éléphants
qui pendant des siècles ne vit passer que les somptueux cortèges de souverains
et de grands prêtres....Nous
traversons l’enceinte. Pour arriver au pied du grand temple il faut encore que
la voiture gravisse, par ses propres moyens un escalier de cinq marches...”
. Elle y parviendra sans perdre un seul boulon.
Au
cours de ce voyage la voiture aura parcouru une bonne partie du chemin, tirée
par des hommes, des boeufs et des buffles... Des charrettes chargées de
ravitaillement en tout genre suivront (ou précéderont) l’auto, ce qui ne
diminue en rien cet exploit. Une partie du retour se fera en bateau pour cause
de routes inondées.
La
voiture
La
voiture est une Lorraine Diétrich24/30
HP à châssis américain très renforcé, et dont les ressorts doivent
supporter un poids de 3,7 tonnes
avec secousses et chocs divers. Elle est carrossée par Berton-Labourdette en
double phaéton court pour laisser la place à 2 malles, 4 lits pliants, 4 pneus de rechange et une tente.
Une seule porte (l’autre servant de dépôt aux cartouches). Sur le marchepied
de droite un treuil avec 40 mètres de câble en acier, un générateur, un
extincteur et une caisse contenant la cuisine (1 table et 3 chaises) 3 pelles et
3 pioches. A gauche, sur l’aile arrière, 2 lampes à acétylène et sur le
marchepied une réserve de 50 kg de carbure (tonneau étanche). 3 haches sont
fixées devant le radiateur. Une capote en toile grise d’une solidité à
toute épreuve doit permettre de s’abriter du soleil et d’écarter les
branches dans la forêt.
L'itinéraire