Le Domaine de Marie, à Dalat
Le livre "Récits et lettres d'Indochine et du Vietnam 1927-1957, de Jean Le Pichon, paru aux éditions "les Indes Savantes" en 2009 offre un éclairage intéressant sur la naissance du "Domaine de Marie" de Dalat. Cette congrégation, qui fait partie de l'ordre des Filles de la Charité - Saint Vincent de Paul (http://www.filles-de-la-charite.org/fr/) est bien connue des touristes se rendant à Dalat, car c'est un lieu très accueillant. C'est également un formidable relais de la francophonie.
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Photo prise en 1948 (source caom) |
Actuellement, le Domaine de Marie accueille un noviciat. 23 sœurs Saint Vincent de Paul y vivent (en 2007) ainsi que de nombreuses jeunes filles et enfants malentendants. Le financement de la structure est assuré notamment par une maternelle riche de 300 enfants.
Des 22 hectares possédés en propre à l'origine, seuls 3 hectares sont encore aux sœurs aujourd'hui.
Les photos contemporaines datent de 2007.
Extrait du livre de Jean Le Pichon :
"Elles étaient déjà en Indochine depuis de longues années, mais dispersées, surtout en Cochinchine, en de petites implantations provinciales nées des circonstances. Partout, les sœurs françaises avaient été frappées des vocations religieuses qu'elles rencontraient parmi les filles vietnamiennes, si bien qu'en 1940, l'ordre se décida de répondre à cet appel. C'est ainsi que fut envoyé en Indochine une Visitatrice, sœur Durand, avec pleins pouvoirs, assistée de sœur Sirjacq qui devait être la future maîtresse des novices. C'est en août 1941, je crois, que le résident Patau me demanda de les piloter dans Dalat afin de rechercher les terrains qui pourraient convenir à leurs projets. Je les embarquai dans ma petite voiture à cheval, et nous fîmes le tour de la ville. Rien de ce que je proposai ne convenait. Enfin, à la sortie du quartier annamite, une grande colline dénudée dominait le paysage avec, à ses pieds, une petite vallée couverte de pins. Le sœur Durand s'écria: "ça y est, c'est là !".
Dalat, en 1955 ; Au fond, on
distingue le Domaine de Marie (Revue Indochine, 1955) |
"Nous arpentâmes le terrain qui devait faire une quinzaine d'hectares. On planta l'église au sommet avec le cloître et le noviciat; la maison d'éducation des métisses aurait sa place dans la vallée; le dispensaire et une école populaire au débouché de la ville; à mi hauteur, l'école d'infirmières. L'ensemble constituerait le "Domaine de Marie". Elle me demanda, en tant que notaire, d'établir l'acte d'acquisition au plus tôt et à moindre frais; ce qui fut possible, les terrains appartenant au domaine de l'état. [...]
"A la fin du mois d'octobre 1941, les 30 premières novices arrivaient, venant des maisons de cochinchine. A la fin de novembre 1942, à l'inauguration de l'église, elles étaient 60 ! Entre temps, elles avaient reçu un aumônier, un père lazariste qui venait de passer 15 ans en Ethiopie : le père Bringer. [..] C'est avec lui et sœur Sirjacq qu'elle forma les premières générations de sœurs vietnamiennes qui, livrées à elles-mêmes, plus tard à l'heure de la persécution vietminh, ont témoigné avec tant de foi, d'intelligence et de courage, d'une remarquable adaptation aux circonstances et, en définitive, d'une vocation missionnaire qui s'est révélée sur le terrain."
Sœur
Durand, religieuse hors du commun
"Une des raisons de l'extraordinaire réussite de sœur Durand était son ouverture aux problèmes du monde où elle voulait s'implanter. Son objectif : former des sœurs de la Charité vietnamiennes qui soient capables d'être dans leur propre milieu, au service des pauvres, présentes à toutes les formes de pauvreté rencontrées. A l'école de Saint Vincent, elles doivent être sans cesse à l'écoute des pauvres qu'elles trouveront sur leur chemin. [..]
Ainsi, ayant eu conscience des problèmes des enfants métis abandonnés à travers l'Indochine, elle envisagea de créer une maison d'éducation à Dalat qui les accueillerait et les assurerait une formation adaptée jusqu'à ce que les circonstances permissent de les envoyer en France où ils seraient confiés soit à des familles (adoptions ou parrainages), soit dispersés dans des pensionnats religieux qualifiés (Ursulines, Oiseaux, etc..).
"Ce
projet reçu tout de suite l'appui de William Bazet, un métis devenu
l'un des plus riches planteurs de Cochinchine et homme politique très influent
dans le Conseil de l'Indochine. Il se chargea de la présentation des dossiers
auprès des services administratifs compétents mais, sans plus attendre, elle
entreprit les travaux. Cette audace reposait, certes, sur une grande confiance
dans la Providence, mais précédée d'une rigoureuse analyse des besoins et de
l'urgence, et de sa conviction que la meilleure solution est celle qu'elle
apporte. Son initiative était alors le signe qui alertait et déclenchait
toutes les bonnes volontés préoccupés de ce problème. On en parlait et on
venait voir et, sans trop savoir comment, on se trouvait séduit et engagé dans
l'action."
Madame
Graffeuil : une collaboratrice précieuse
"A cette époque, Mme Graffeuil vint habiter Dalat après la disparition de son mari, qui était Résident Supérieure en Annam. [..] Depuis le jour de la rencontre avec sœur Durand, Mme Graffeuil devint la plus précieuse et la plus puissante de ses collaboratrices dont l'efficacité fut immédiate. Car dès ce jour, Mme Graffeuil s'est engagée dans une action personnelle admirable qui envahira toute sa vie. Ayant participé dès le début avec sœur Durand et William Bazet à la création de l'œuvre, par la suite, en France, elle en sera l'âme, traçant et suivant pas à pas pour chacune de ses filles un chemin de bonheur. Et ce sont des milliers d'enfants qui ont ainsi été sauvés d'un enlisement en Indochine."
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L'amiral
Decoux
"Naturellement, l'amiral Decoux désira connaître sœur Durand. La rencontre eut lieu sur le chantiers du Domaine de Marie. Ce fut le coup de foudre ! L'amiral, qui était accompagné de sa femme, fut subjugué par la personnalité de la sœur, par l'audace calculée de ses projets et de la sûreté de son jugement. D'emblée, il apporta à l'œuvre des métis la totale collaboration des services sociaux de l'armée, mais en plus, il lui confia la fondation d'une école de monitrices d'éducation physique dans le cadre du vaste mouvement sport-jeunesse qu'il voulait promouvoir en Indochine."
La vue depuis le Domaine de Marie, en 2007
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