Le Couvent des Oiseaux

Difficile de ne pas consacrer une page de ce site au Couvent des Oiseaux, qui fut le symbole le plus prestigieux de la geste française en Indochine. Cette école, c'est tout à la fois l'apprentissage des bonnes manières, l'excellence en terme d'éducation - à la fois sur la manière d'enseigner et sur le contenu - et un formidable relais de la langue et de la culture française. C'est aussi une Indochine idéalisée, avec une cohabitation réussie entre plusieurs cultures. Un oasis de sérénité au milieu d'un pays en plein bouleversement.

Tout a commencé avec Marie Thérese Huu Hao, la future épouse de Bao Dai, l'impératrice Nam Phuong. Avant d'épouser Bao Dai, elle fit ses études au sein de la congrégation Notre Dame, rue de Ponthieu à Paris, communément appelé le "Couvent des oiseaux".

De retour en Indochine, et gardant un excellent souvenir du pensionnat, elle décida, un fois impératrice, de soutenir la création d'un établissement similaire à Dalat, en offrant des terrains. Cet établissement a vu le jour en 1935. On l'appela le Couvent de Notre Dame du Lang Bian, mais le nom commun reste le "Couvent des Oiseaux". Ce fut alors le point de convergence de toute la bourgeoisie du sud Vietnam. Situé dans une station balnéaire - Dalat - aussi chic, à l'époque, que le 16eme arrondissement de Paris. L'établissement, réservé aux jeunes filles, vit affluer, coté français, des filles de fonctionnaires et de colons aisés. Les grandes familles vietnamiennes, laotiennes ou cambodgiennes y inscrivirent également leurs enfants, soucieuses de leurs donner le meilleur de l'éducation occidentale. L'élite féminine vietnamienne a été formée ici avant de fuir, hélas, aux quatre coins de la planète.

Des 12 hectares d'origine, il en reste 2. Entre les bâtiments, un mur de séparation..

En 1937, un deuxième établissement ouvre à Hanoi (Notre Dame du Rosaire), puis, en 1950, à Saigon (Régina Mundi).

En 1945, les françaises occupaient encore plus des 2/3 des places. 300 jeunes filles y séjournaient, en internat ou externat. Les études suivies allaient jusqu'au bac. Les cours étaient dispensés en français jusqu'en 1970.

En 1975, les sœurs françaises furent contraintes de regagner la France. On retira aux sœurs vietnamiennes le droit d'enseigner. Une partie réduite des locaux furent conservée par la communauté religieuse. Les autres bâtiments et terrains furent transformés en école publique de professeurs pour les Montagnards. N'ayant plus aucun moyen de vivre, les sœurs quittèrent les lieux. Elles y sont revenus en 1995. 4 sœurs y vivent, travaillant à l'extérieur notamment comme professeurs, hélas d'anglais !. A Saigon, il reste 25 sœurs.

Soeur Marie Thoa, responsable de la communauté à Dalat

 

 

 

La chapelle, récemment refaite. 

Description du Couvent des Oiseaux de Dalat après le départ des français, par Kim Lefévre, dans "Métisse Blanche" (édition Phébus):

"La fourgonnette grimpa une côte puis s’immobilisa devant un portail d’aspect quelconque. Je m’attendais à quelque chose de plus luxueux. Mère Marie Claire sonna, la porte s’ouvrit aussitôt. Nous empruntâmes un large escalier qui conduisait aux étages supérieures, longeâmes deux longs couloirs avant de parvenir devant une chambre.

- à partir de la seconde, les élèves ont des chambres individuelles, m’expliqua celle ci. Elles sont un petites mais vous en aurez de bien plus grandes en premières et en terminale.

Tout en parlant elle ouvrit une porte. Le parquet ciré reflétait la lumière comme un miroir. En face de moi, une fenêtre donnait sur le parc. […]

 

"Je me retrouvai seule. Dans une chambre. C’était incroyable, j’étais sur une autre planète. Tout avait changé en peu de temps : le climat, le paysage, le décor quotidien. Je m’approchai de la fenêtre. Devant moi un sapin, tous semblables à ceux que j’avais vus sur les cartes postales provenant de France aux approches de Noël. Au delà  s’étendaient des rangées de pins aux troncs pelés. Pas l’ombre d’un promeneur. Tout était silence. Soudain quelque chose heurta une branche, une autre, puis s’immobilisa. C’était un écureuil, pareil à une fleur que le vent projetait d’arbre en arbre. Je demeurerai émerveillé devant cette boule dansante.

Mes nouvelles camarades pénétrèrent en trombe dans la chambre, se bousculant, riant. Certaines portaient l’uniforme, tandis que d’autres avaient conservé le port de la tunique vietnamienne. D’emblée elles me demandèrent de quelle ville et de quelle école je venais. J’appréciai qu’elles me parlassent dans notre langue, le vietnamien. C’était d’ailleurs naturel car il n’y avait aucune étrangère parmi nous. Il n’en était pas ainsi autrefois, quand l’école comptait une majorité de françaises."

"A ce moment, une religieuse pénétra dans le réfectoire. Comme s’il s’agissait d’un signal, les élèves lui emboîtèrent le pas. …

Il y avait une entrée, un plat de viande et du riz en abondance. Je m’étonnai de trouver le riz familier à la place du pain. L’explication vint aussitôt :

-        - Depuis qu’il n’y a presque plus de pensionnaires française, nos Mères nous ont consultés et, à la demande générale, elles ont remplacé le pain par le riz.

-        - C’est formidable ! m’exclamai-je

-        - Et ce n’est pas tout. Sais tu que nous sommes l’unique établissement ou l’on fait l’effort de nous nommer par nos prénoms vietnamiens ? Si tu avais été au lycée, on t’aurait affublée d’office d’un nom français parce que c’est plus commode pour les professeurs.

-         -Tu te vois en Jeannette ou Cécile ? dit une autre dans un fou rire.

-    D’instant en instant, je réalisai ma chance d’être une école aussi extraordinaire."

        La chapelle

"L’établissement dispensait un enseignement allant de la sixième à la classe de philosophie. Nous étions environ 300 élèves, réparties en trois groupes autonomes, chacun ayant son lieu de vie, ses horaires propres. Les plus jeunes – de la sixième à la quatrième – vivaient en petites équipes. Celle de troisième, qui avaient environ 14 ans, l’age ingrat comme on dit, étaient organisés en formation restreintes de 6 personnes dénommés « familles », chacune d’elles obéissant à une « mère de famille » élue à l’unanimité. Les élèves de seconde et de première fonctionnaient en grandes équipes d’une douzaine de membres sous la responsabilité d’un chef, élu également. Quant aux « philosophes », comme on les nommait, elles étaient jugés assez sages pour vivre sans structure rigides, à la manière des étudiantes qu’elles seraient demain."

"Telle était l’ambiance du couvent des Oiseaux. Nous vivions en  pleine nature, dans un cadre magnifique, loin des rumeurs du monde réel qui venait mourir au pied du parc.

A condition de prendre un « régime de liberté » - sorte de contrat moral qui nous engageait à utiliser notre temps libre à l’étude et non aux bavardages – nous pouvions travailler dans nos chambres, dans le parc ou n’importe ou, sans que personne ne vint nous surveiller. Nous ne devions promettre qu’une seule chose : ne pas franchir l’enceinte du parc. Mais qui eut songé à sortir ? Le parc est si vaste que nous n’avions pas l’impression d’être emprisonnées."

 

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