La Cotonnière du Tonkin

et l'usine de Nam Dinh

 

La cotonnière du Tonkin fut l'un des plus beaux succès industriels de la colonie. 

La visite fortuite, en juin 2012, de la magnifique maison du  fondateur de l'usine, à Nam Dinh, est l'occasion de réunir quelques documents sur La Cotonnière du Tonkin, société qui fut l'un des plus beaux succès de la colonie. 

Photo du fondateur, Léon Anthyme Dupré, ici en 1923 à Haiphong, lors d'un départ en voyage (photo transmise par la famille)

 

Il y avait relativement peu d'industries de transformation en Indochine, afin de ne pas concurrencer les industries de la métropole. Respectant ce principe, la Cotonnière du Tonkin a réussi à s'imposer dans la production du fil à destination du marché local, prenant la place des importations étrangères (notamment de l'Inde britannique) et grâce à une politique de droits de douane très favorable. Du fil, la société est passée au tissage et se développa rapidement. Ce fut l'une des activités les plus rentables de l'Indochine à la veille de la 2eme guerre mondiale.  

 

 

Illustration commerciale pour la Cotonnière

 

 

La Cotonnière du Tonkin  fut crée en 1900 par Anthyme Dupré (1865-1940). Louis Léon Anthyme Dupré est né en 1865 à Chatou.  Il arriva en Indochine en 1890, travailla 7 ans à la Banque de l'Indochine, d'abord à Hanoi, puis à Haiphong. Il se marie à Hanoi avec une française métis. Il prendra ensuite la gérance la filature de Coton de Hanoi, les établissements Meiffre- Cousins et Cie. Il créa ensuite l'usine de coton à Nam Dinh en 1900 (donc à l'age de 35 ans). Le capital de la société était de 5 million de Francs auquel s'ajouta 2 millions d'obligations. . A noter également qu'Anthyme Dupré est à l'origine de la Société des Scieries et de Fabriques des Allumettes de Thanh Hoa, crée pendant la Première Guerre mondiale.

 

Notice nécrologique parue dans la "Volonté Indochinoise"  lors du décès de Monsieur Dupré (29 janvier 1940)

 

 

Carte postale de l'usine, début du siècle

L'emplacement de Nam Dinh fut judicieusement choisie: population très nombreuse, main d'œuvre abondante et peu exigeante, des matières premières locales bon marché, une tradition pré existante de tissage dans la région, des infrastructures en plein développement (routes, chemin de fer, circulation fluviale..) mais aussi une proximité avec les mines de charbon de Campha. Les chaudières à vapeur et la production de l'énergie électrique exigent en effet chaque jour près de 40 tonnes de charbon… (années 30). L'usine de Nam Dinh possède sa propre fonderie, son appontement sur le canal, sa flottille de chaloupes et de chalands.

Vous trouverez ci dessous des documents de sources diverses sur cette entreprise, présentés, dans la mesure du possible, par ordre chronologique. Cette page s'enrichira au fur et à mesure des documents trouvés. 

Merci à Alain Léger et à la famille du fondateur pour sa contribution à cette page.

 

 

les cadres européens de l'usine, en 1923, avec, au centre, André Dupré, fils aîné d'Anthyme Dupré, le fondateur de la société

La naissance d'une industrie

Dans le livre de C. Robequain en 1939, on peut lire: 

"Peu d'années après l'occupation du Tonkin, à la fin du siècle dernier, on constatait que ce pays importait beaucoup moins d'étoffes que de filés. Ceux-ci ne venaient pas de France, mais de l'étranger et surtout de Bombay. Ils étaient destinés à l'industrie indigène, de type familial, qui pouvait se contenter d'un bénéfice extraordinairement bas. Aussi l'élévation des droits de douane sur les filés ne favorisait-elle que très médiocrement l'importation des cotonnades françaises. Il faudrait, en effet, qu'ils fussent presque prohibitifs pour compenser la différence de prix qui existe entre le tissu de fabrication française et celui fabriqué dans le pays par les consommateurs eux-mêmes. De là l'idée de créer au Tonkin, tout en protégeant l'importation des tissus métropolitains, des filatures qui profiteraient d'une matière première trouvée sur place à vil prix, et d'une main-d'œuvre abondante et peu exigeante. Quelques gros industriels français fournirent ainsi les fonds qui permirent de construire une première filature à Hanoï, dès 1894. Deux autres filatures furent ensuite fondées, à Haïphong, puis à Nam Dinh. En 1913, les trois entreprises se trouvaient rassemblées par la "Société Cotonnière de l'Indochine". La filature de Hanoï a cessé son activité. L'établissement de Nam Dinh, située au centre d'une région surpeuplée, s'est développé assez régulièrement; c'est aujourd'hui [en 1937] le plus puissant. De la filature, on est vite passé au tissage. La Société a 54.000 broches à Nam Dinh, 30.000 à Haïphong; en outre, elle a réuni à Nam Dinh 1.300 métiers. Les chaudières à vapeur et la production de l'énergie électrique exigent chaque jour 40 tonnes de charbon environ; l'usine de Nam Dinh a sa fonderie, son appontement sur le canal, sa flottille de chaloupes et de chalands; on y pratique aussi le blanchiment et la teinture. En 1933, la Société employait environ 5.000 ouvriers, dont 4.000 à Nam Dinh. En 1933, le chiffre total atteignait sans doute 10.000, travaillant irrégulièrement. L'usine de la Cotonnière à Nam Dinh offre la plus grosse concentration de salariés, dans le même établissement, qui soit en Indochine. "

Nam Dinh, il y a 110 ans ..."Concession de peuplement, village Anthyme Dupré" (photo transmis par T. Benoist). Les logements pour les ouvriers étaient en  bambou jusque dans les années 60. Ensuite, des maisons en durs ont été construites. 

 

La maison du fondateur

En visitant Nam Dinh, difficile de ne pas voir ce qui reste de la Cotonnière du Tonkin, car l'usine - ou les usines - sont au cœur de la ville. En faisant preuve de curiosité, nous tombons sur une plaque "Bao Tang" à l'entrée d'une maison coloniale ordinaire.. nous entrons ! Nous sommes accueillis par le responsable du projet (la construction du musée) et quelques uns de ces collaborateurs. Ils nous emmènent alors un peu plus loin, et nous réservent une surprise ! Nous pénétrons dans un domaine bien caché de la rue, riche en arbres magnifiques, et dans lequel apparaît l'immense maison du fondateur de l'usine, Monsieur Dupré et sa famille. La maison vient d'être restaurée. 

La maison appartient au groupe textile actuel. Un musée a été aménagé à l'intérieur. Il est consacré à l'histoire de l'industrie textile à Nam Dinh, de l'origine à nos jours. Mais l'ouverture du musée n'est pas certaine, ni même la finalité du lieu: centre de rencontres professionnelles ou domaine ouvert au public.. à ce stade, c'est l'inconnu.      

Photos d'époque (transmis par T. Benoist). On remarquera que les canons n'y figurent pas et que les arbres sont encore bien petits !!

 

Cette immense demeure est située juste à coté de l'usine. Même les briques auraient été importées de France. Cette maison a échappé aux bombardements. Devant l'escalier monumental, on notera deux canons annamites.

 

 

 

Ces canons présentent, à la hauteur des tourillons, une couronne en relief, au-dessous de laquelle on peut lire les deux initiales B. P. 

Ce sont des canons annamites en fonte qui ont été fabriqués à Luik (Liège). Cette fabrique a rejoint, comme d'autres, la fabrique d'armes d'Herstal, en 1889 (source BAVH, avril 1935)

Liège fut tour à tour Français, Hollandais puis Belge à partir de 1830. 

 

 

 

Galerie sur la partie arrière du bâtiment

 

 

Pendant la guerre, une batterie anti aérienne était installée dans le jardin de la maison pour protéger l'usine. Derrière, un temple nouvellement construit, à la mémoire des défunts morts sur le domaine de l'usine.          

 

 

Derrière la maison, le jardin

 

Lors de la restauration, les vietnamiens ont fait très attention à ne pas endommager les arbres. 

 

 

 

A gauche, l'accès vers la cave à vin (!), et, à droite, la citerne d'eau potable.

Le Président HCM est venu à trois reprises visiter l'usine

A gauche, le banc sur lequel Ho Chi Minh s'est assis et, à droite, une chambre aménagée pour lui. Quelques objets personnels sont présentés sous vitrine. La chambre a été réaménagée pour être présentée en musée. 

 

A l'intérieur de la maison

 

Il y a plusieurs cheminées d'origine dans les différentes pièces d'habitation. C'est bien là l'une des caractéristiques d'une maison construite sous l'époque coloniale !

 

Décoration d'origine (photos transmises par la famille): 

 

 

 

salle à manger, anti chambre, chambre à coucher, hall d'entrée et bureau

 

Le musée présente de nombreux objets textiles fabriqués à Nam Dinh depuis l'origine jusqu'à aujourd'hui, ainsi que de nombreuses photos des signatures de coopération industrielles signées avec les pays du bloc communiste. Aujourd'hui, l'usine fabrique pour le marché domestique et l'export, y compris des tissus utilisés aujourd'hui pour le revêtement des routes... 

 

Objets qui auraient été utilisés par le fondateur-directeur de l'usine et sa famille. Dans la vitrine d'à coté (non prise en photo) des objets ordinaires utilisés par le personnel... Contraste assuré!

 

Les conditions de travail

Que dire sur les conditions de travail ? En Indochine, il n'y a quasiment aucune législation sur le travail avant les années 30. Avant cette époque, seul existait le livret de travail (bien pratique pour " pister " les salariés). Seules les conditions de travail dans les mines puis dans les plantations de caoutchouc finissent par préoccuper les autorités locales, pressées par les journalistes et écrivains qui publient des articles très sévères (voir en annexe). 

En 1933, les enfants représentent un quart des effectifs. Le musée met en avant quelques documents représentatifs de cette époque : accident du travail (14 décès en 1938), augmentation des cadences sans contrepartie (crise de 29), méconduite des contremaîtres français qui frappent et licencient les ouvriers sans raison sérieuses (1938)… 

A la mort d'Anthyme Dupré en 1940, la presse locale met cependant en avant sa contribution pour améliorer le sort de ses ouvriers. On peut lire dans "la Volonté Indochinoise" du 29 janvier 1940: 

"Mais l'œuvre accomplie ces dernières années par Monsieur Dupré n'est pas seulement économique, elle est aussi humaine et nous ne saurions mieux préciser sa portée sociale qu'en mentionnant quelques-unes de ses manifestations : - lois sociales appliquées sans dérogation. - Reconstruction ou aménagement d'ateliers, de bureaux, de wc, pour améliorer leur aération et leur éclairage - Eau potable et thé chaud dans tous les ateliers. - Infirmerie pourvues de tous les aménagements. - Terrain de sports avec cercle, gratuité de tous les jeux, y compris le tennis. - Village en paillotes aménagé selon les règles de I'urbanisme les plus récentes où il est procuré aux anciens ouvriers ainsi qu'à leurs proches un logement gratuit. - Retraite de 4p50 par mois [par] retenue de salaire, à tous les ouvriers et ouvrières totalisant 25 ans de services, ayant faculté, s'ils continuent leurs services à la Société, de percevoir la rétribution normale de leur travail. "

"La Société accorde à ses agents européens, pères de famille, dont les enfants poursuivent leurs études à Hanoi. une indemnité annuelle sensiblement égale aux frais d'études, de même qu'elle paye leurs soldes et indemnités à tous ses agents européens et assimilés, actuellement mobilisés. Comme on le voit, c'est non seulement un réalisateur qui disparaît, mais un homme de bien. "

Livret de travail nominatif, en français

 

Liste des ouvriers décédés dans l'usine en 1938. 14 personnes sont mortes cette année là. Elles étaient âgées entre 22 et 32 ans et l'une avait 18 ans d'ancienneté. 

 

C Robequain écrit en 1939:

"Un rapport officiel (20 novembre 1933) apporte des précisions très intéressantes sur les conditions du travail . Les filles et les garçons âgés de quatorze à dix-huit ans forment environ 25% de la main-d'œuvre; les femmes et les enfants représentent la moitié du total des ouvriers, la proportion étant d'ailleurs plus élevée dans la filature que dans le tissage. La main-d'œuvre des filatures de Nam Dinh et de Haiphong est une main-d'œuvre familiale, homogène et stabilisée...; filateurs et tisseurs appartiennent presque toujours à une même famille et chaque enfant, dès qu'il est en âge de le faire, vient travailler à l'usine pour apporter, par le groupement des salaires, sa contribution au bien-être du foyer. Cette main-d'œuvre est répartie en équipe, car le travail continue la nuit; ainsi se trouve augmenté, en même temps que le nombre des ouvriers, le rendement moyen de chaque machine. On constate d'ailleurs que le travail de nuit, accompli dans des ateliers moins chauds en été, moins frais en hiver, est souvent préféré par l'Annamite; ce travail est d'ailleurs contrôlé avec moins de vigilance par les surveillants européens, si bien qu'en somme, il serait moins pénible que le travail de jour; les ouvriers peuvent s'entendre entre eux pour travailler à tour de rôle; ceux qui sont inoccupés profitent des intervalles séparant les rondes pour prendre un acompte de sommeil, couchés entre les métiers. Une autre Société possède à Haïphong une usine produisant à la fois du fil à coudre et des filés de coton, et qui rassemble 430 ouvriers. "

Livret de travail et travail des enfants

 

Mars 1929, revendication pour une "une petite augmentation" suite à la suppression de la 3eme personne par machine

 

4 juillet 1929  ; grève suite à un acte de maltraitance d'un ouvrier par un cadre européen

 

13 Mars 1936, dénonciation de mauvais traitements exercés par le Directeur du Tissage

Vie de la société

Jean Pierre Aumiphin - La Présence Financière et Économique Française en Indochine (1859-1939), édition des Statistiques du Vietnam (thése française de doctorat de 1981 publiée au Vietnam); 

"La culture la plus intéressante pour les capitaux sociétaires était celle du coton. Depuis longtemps, les indigènes le cultivaient en le semant au bord des fleuves, aux endroits recouverts périodiquement par les crues qui y laissaient un limon fertilisant" . Exclusivement employé au début pour la consommation locale (fabrication de vêtements indigènes), sa culture s'était, depuis, considérablement augmentée grâce à l'investissement de capitaux privés. En 1890, apparaissait la première filature de coton de la Société en commandite Meiffre-Cousins et. Cie, avec 10.732 broches et 170 ouvriers. Par la suite, l'industrie cotonnière accomplit de rapides progrès. En 1900, A. Dupré fondait à Nam-Dinh la Société Cotonnière du Tonkin qui absorba la société Meiffre- Cousins et Cie et, en 1913, la Société cotonnière de l'Indochine [Haïphong] de M. Butin., Obtenant de l'administration coloniale des droits de douane prohibitifs à l'importation sur les filés d'origine étrangère, elle avait réalisé d'énormes bénéfices (rappelons qu'en 1939 elle se classait en troisième position sur 269 S.A. recensées pour plus de 52 millions de francs courants de bénéfices répartis [dividendes], une proportion de 15..% revenant aux six administrateurs). Elle possédait à Haïphong une filature de coton de 29.064 broches; un groupe industriel avec trois filatures de coton, une fabrique de couvertures, etc. "

"Vers 1940, la Société cotonnière du Tonkin produisait 133.306 kilogrammes de coton hydrophile, 9 millions de kilogrammes de filés, 3 millions de tissus et 1 million de couvertures, soit un total de 13.425 tonnes . Vers 1939, la commercialisation annuelle de tissus, par tête d’habitant en Indochine, peut être évaluée à 1 kg, soit 7 mètres de tissus..; ce qui donne un tonnage total de 22.000 tonnes de tissus pour toute la population indochinoise. Environ 95..% de la consommation intérieure étaient importés de la métropole sous forme de tissus ou de matières premières [coton brut égrené]. Les filatures d'Haïphong et de Nam-Dinh ne produisaient que le quart de la production totale, le reste provenait de l’activité artisanale. Les filatures de la Société cotonnière du Tonkin, à Nam-Dinh, employaient d'une façon régulière et permanente un personnel de 38 Français et 13.828 ouvriers. Elle se chargea de la vente de ses filés à l'artisanat du Tonkin, qui occupait, vers 1940, 120.000 tisserands. Une autre société, moins importante que la précédente, s’occupait également du coton..: la Société [anonyme] des filteries de l’Indochine fondée en 1931 au Tonkin [à Haïphong] par le Chinois Tsin-Koai, ancien compradore de la Société cotonnière du Tonkin. Elle utilisait, en 1941, 7.040 broches. L’industrie du coton était presque inexistante en Cochinchine. Seule, la Société Cotonnière de Saigon, fondée en 1924 [par la SFFC (Homberg)], possédait une usine avec un outillage de 10.000 broches. "

Annuaire de l'Indochine en 1921

 

Plan de l'usine de Nam Dinh, en 1928 (photo de 3,4 mégas)

C. Robequain écrit en 1939 :

"Les ressources locales comptent aujourd'hui très peu dans l'alimentation des filatures en matière première. Le coton reste partout en Indochine l'objet d'une culture familiale, sur des parcelles généralement minuscules . Presque tout le coton brut traité dans les usines du Tonkin provient de l'étranger: Inde, Amérique, Chine. La production de filés des usines de Nam Dinh et Haiphong était évaluée à plus de 8.000 tonnes en 1937. Ces manufactures tonkinoises fournissent la plus grande part des filés employés par les tisserands indigènes des campagnes, ou par ceux qui sont groupés dans les petits ateliers urbains, en particulier à Cholon. En outre sortaient des métiers de Nam Dinh, en 1937, 702.000 couvertures, et 2.212 tonnes de cotonnades diverses, dont beaucoup de serviettes de toilette, qui jouissent d'une grande vogue dans les milieux les plus humbles, et ont des usages bien plus variés que leur nom ne I'indique. "

"Si la culture du coton est loin d'avoir répondu aux espoirs, sans doute excessifs, qu'on mettait en elle, il est encore plus regrettable de constater la décadence de la sériciculture. Les soins ne lui ont cependant pas manqué. En fait, le déclin de la sériciculture est frappant en Indochine, depuis 1929 surtout. La concurrence de la rayonne, en abaissant le prix du produit naturel, décourage le producteur. D'autre part, la grège de Chine, favorisée par la dévalorisation monétaire dans ce pays, a pénétré dans la colonie en quantités toujours plus grandes. Elle contribue beaucoup à alimenter aujourd'hui, en même temps que les artisans de villages, les manufactures françaises, qui vivent avant tout du tissage. Elles ne sont que deux. L'une, qui est à Nam Dinh, a dû fermer la plupart des filatures qu'elle contrôlait: elle occupe environ 800 ouvriers. L'autre, qui emploie plus de 1.200 ouvriers, a pour originalité essentielle de n'être pas urbaine. Elle s'est fixée à la fin du siècle dernier en pleine campagne, à Phu Phong, sur la route de Qui Nhon à Kontum, dans la province du Binh Dinh. Le choix de l'emplacement avait été dicté au fondateur par l'intensité de la sériciculture locale, mais celle-ci a beaucoup décliné depuis. "

La 2éme guerre mondiale

Pendant la 2eme guerre mondiale, l'usine tourne à 10% de ses capacités, faute de coton. Elle est bombardée en 1944 par les américains. L'activité reprend timidement en 1948.

La société en 1953

Dans l'Annuaire des États Associés de 1953, on peut lire un article avec photos publié par la Société Cotonnière du Tonkin :

"La main oeuvre employée par la Société Cotonnière du Tonkin est particulièrement nombreuse. Cette main d'œuvre qui partageait autrefois son temps entre l'atelier et les travaux de la terre est aujourd'hui stabilisée.

L'application du droit du travail et les autres avantages concédés à l'ouvrier indigène par le patronat français ont placé l'ouvrier d'industrie dans une position enviable par comparaison avec celle de l'ouvrier des champs et de l'artisan chinois ou vietnamien.

Dans les établissements de la Société Cotonnière du Tonkin, les ouvriers ont un travail stable, régulier, peu pénible et convenablement rétribué. Cette stabilité de la main d'œuvre s'est traduite par un meilleur rendement de l'ouvrier, ce qui a permis à la Société Cotonnière du Tonkin d'améliorer la qualité de ses produits.

La Société, dont le capital social a été porté récemment à 400 millions de Francs, exploite à Nam Dinh 3 filatures de coton, 2 ateliers de tissages, un atelier de blanchissage, de teinture et d'apprêt de fils et de tissus, une fabrique de couverture. Ces établissements qui couvrent une surface bâtie de 79.255 mètres carrés occupent actuellement un personnel de 23 français ou européens (contre 38 en 1940) et 4000 asiatiques (13000 en 1940)."

Photo de l'usine; on distingue bien la maison du fondateur, le stade, et les nombreux pavillons pour le personnel européens et l'administration. 

 

Vue aérienne (source id)

Ci dessous, les photos présentées par la société: le port de la SCT, arrivage du coton brut, les turbos alternateurs de la Centrale ; les métiers à tisser

Un coin de la filature ; blanchiment - clapot ; fabrique de couvertures

Le départ des Français

Les actifs vietnamiens de la SCT change de mains après le départ des français. Les activités au Brésil et à Dakar se poursuivent à travers la société Cotonnière Transocéanique.. 

Vue des usines avant / après les bombardements américains

Vues actuelles de l'usine

L'usine fonctionne toujours et plusieurs milliers d'ouvriers y travaillent encore. Sur la photo de droite, une affiche pour le recrutement d'ouvriers. L'usine recrute 100 ouvriers, avec des salaires de 2000 KD (environ 75 euros) pendant les 6 mois d'apprentissage puis jusqu'au double ensuite. Ce ne sont pas des salaires très élevés, mais c'est le niveau habituel dans les usines du vietnam.  

 

Emblème daté de 1961 trouvé sur l'une des portes d'entrées du site.

Annexes

 

Anthyme Dupré à la Banque de l'Indochine - Extrait de l'ouvrage de M Meuleau "Des pionniers en Extrême Orient. Histoire de la Banque de l'Indochine". 

 

Ces passages sont relatif à une période antérieure à l'arrivée de Paul Doumer en Indochine. Celui ci, comme on le sait, mettra surtout l'accent sur les infrastructures de transports. 

 

" Le vote d’un budget d’un emprunt de 80 millions de francs (1,3 milliards de francs 1890) consenti par le Parlement en janvier 1896 semble l’occasion idéale à la Banque de l’Indochine pour lancer un tel programme. Léon Michelet et Anthyme Dupré de la Banque de l’Indochine avaient été chargés de convaincre le résident général Armand Rousseau (qui avait demandé à être déchargé de son poste dès l’été 1895, car candidat au poste de Sénateur dans le Finistère) de réserver la part maximale des 80 millions de francs pour des travaux agricoles. La brusque augmentation des opérations de l’agence de Ha Nôi, enregistrée en 1896, s’explique par les travaux publics et l’accroissement des importations et des opérations locales qui en ont résulté. La stagnation qui s’en est suivie est due à l’achèvement de l’essentiel de ces travaux. ". 

 

Autre extrait :

 

"Anthyme Dupré, directeur de l’Agence de la Banque de l’Indochine de Ha Nôi en 1895-1896. Les tentatives pour trouver des champs d’activités nouveaux aboutissent à la suite des études d’Abdel Charretier, directeur de Hai Phòng et d’Anthyme Dupré, directeur de Ha Nôi, à la conclusion que le développement de la riziculture est la seule voie qui permette d’échapper au cercle infernal faibles infrastructures-stagnation économique-ressources budgétaires insuffisantes. Edouard Delessert propose une analyse qui est un plan d’action. Il suffirait de faire des aménagements agricoles pour que la production bondisse immédiatement au-delà des besoins de la population ; les surplus exportés permettraient à la fois de rembourser les emprunts contractés pour les premiers équipements et de financer les autres infrastructures.".

 

Annuaire de l'Indochine de 1922

 

Société cotonnière du Tonkin, 7, square Moncey, PARIS (9e). Capital. - Sté anomyne, août 1900, 5 millions de fr. en actions de 1.250 fr. entièrement libéré - Obligations: 2 millions de fr. - Dividende: 10 p. 100 depuis le début ; dernier exercice : 12 p. 100. Objet. - Exploitation de trois filatures, d'un tissage et d'une teinturerie au Tonkin. Usines à Nam-Dinh, Haïphong et Pnom-Penh. Succursales à Mongtze et Yunnansen (Yunnan).

Article de presse paru dans  l'hebdomadaire "La France devant le Pacifique" 

30 AVRIL 1925, à Nam-Dinh (Tonkin). Dans la matinée, deux mille cinq cents ouvriers et ouvrières appartenant à la Société Cotonnière du Tonkin cessèrent leur travail : Ils avaient envoyé au directeur une lettre - ANONYME, dit-on - dans laquelle ils réclamaient : 1° Une augmentation de salaire en rapport avec le coût élevé de la vie ; 2° La réintégration de trois cents de leurs camarades qui avaient été congédiés le 26. Ces trois cents ouvriers travaillaient à l'atelier du tissage. Ils s'occupaient de l'entretien des métiers. Jusque-là, à chaque métier étaient affectés quatre ouvriers dont deux aides. Mais la Direction voulut faire une compression du personnel. Elle avait réduit ce dernier à deux ouvriers par métier, d'où renvoi des trois cents en question. Cette grève, éclatant dans la filature qui alimente l'atelier de tissage en coton filé, entraîna l'arrêt complet de ce dernier atelier, soit mille trois cents ouvriers, ainsi que l'atelier des machines, soit trois cents autres. La Société cotonnière du Tonkin, fondée en 1900, est au capital de cinq millions actions, et deux millions obligations. La société possède trois filatures, un atelier de tissage et une teinturerie à Nam-Dinh,. - 42 - Haïphong, Hanoï, deux succursale EN CHINE, à Montzé et Yunann-Sen.

UNE LETTRE SUR LES CAUSES DE LA GRÈVE DE NAM DINH par A. CLÉMENTI 

L'Argus Indochinois, 4 septembre 1926

Nam Dinh, le 28 août 1926.

A Monsieur le Directeur de L'Argus Indochinois, 44, Bd Doudart-de-Lagrée, Hanoï.

Monsieur le Directeur,

Connaissant vos vaillantes campagnes contre les oppresseurs, je me permets de solliciter l'hospitalité de vos colonnes pour ces quelques lignes qui livreront au mépris public un Européen qui, sûr de l'impunité de ses actes, parce qu'il compte beaucoup d'amis parmi les quelques fonctionnaires de la province, pousse sa brutalité jusqu'à assommer à coups de talons nos jeunes ouvrières qui travaillent pour la fortune et la prospérité de la Société Cotonnière. Tout le monde sait que la Société Cotonnière de Nam Dinh compte parmi son personnel des milliers de « con gai » de tout âge qu'elle place sous la surveillance et le contrôle des contremaîtres européens. La cruauté de certains de ces derniers fait la terreur de nos pauvres ouvrières. 

La victime était tombée sans connaissance pendant de longues heures sous les coups particulièrement violents de M. E... [Thereseaux, d’après Témoignages et documents français relatifs à la colonisation française au Viêt-Nam, Hanoï, 1945, p. 39, citant Louis Roubaud, Viêt-nam] et les Annamites l'ont crue un moment morte. Le malheur veut que cette victime soit la nommée Thi Và, ma petite sœur. Voici ce qui s'est passé exactement : Le 25 août, une ouvrière accusée du larcin de quelques fils de coton, fut attachée à un poteau de l'Usine. Comme il n'était pas encore l'heure du travail, les autres ouvrières s'attroupaient soit par curiosité, soit par compassion près de leur camarade. M. E.survint tout à coup d'un air maussade et hébété. Cet air là on le lui connaît ; on sait alors qu'il a un peu trop bu, un peu plus que d'habitude. Ce jour-là les coups pleuvaient. Tout le monde se sauvait, c'était à qui courrait le plus vite. Ma sœur cadette, très douce et toute grêle, cédait la place à ses camarades et s'éloignait d'un pas rapide vers son atelier, lorsqu'en deux bonds, M. E… fut sur elle et lui asséna plusieurs coups de pied par derrière et dans le dos. Atteinte malencontreusement, ma pauvre sœurette tomba inanimée. Le contremaître qui croyait à une feinte redoubla ses coups et avec ses brodequins de fatigue, frappa de plus en plus fort, pensant que la douleur aurait raison de la pauvre fille, mais fatigué et voyant que sa victime restait toujours sans connaissance, il fit appeler un pousse pour la renvoyer chez elle. Cependant un quart d'heure se passa sans que l'infortunée ait repris connaissance. La surveillante Lan intervint alors et sur l'insistance de Thi Ly une de ses camarades fit part à M. M..., chef comptable, de son intention de faire constater le meurtre que venait de commettre froidement le contremaître européen. On transporta la blessée au Commissariat de police et de là à l'hôpital. Qu'a pu dire M. E… au docteur H… , médecin adjoint au médecin-chef de cet Établissement ? Ce que nous savons seulement, c'est que M. le docteur H.. refusa d'examiner les blessures de la jeune ouvrière, malgré toutes les insistances de ceux qui l'accompagnaient. Il lui fit faire quelques piqûres (d'éther peut-être) pour la ranimer et s'en alla en disant que, puisque M. E... lui avait dit qu'il n'avait donné qu'un coup de pied à la jeune fille, il ne pouvait en être autrement et que cela passerait tout seul. Le lendemain, l'infortunée ouvrière souffrant horriblement de ses blessures aux reins, au ventre, au bas-ventre et plus bas encore, poussa alors de faibles cris de douleur après avoir passé une nuit dans le délire. On comprend où elle souffrait le plus, bien que par pudeur la pauvre blessée n'ait pas osé indiquer exactement l'endroit. Je me présentai pour m'informer de son état. Il était grave. J'allai trouver le docteur H.. pour lui demander un certificat médical et me munis à cet effet d'une somme de 6 piastres. Cet homme de bien (?) n'accepta pas l'argent, mais refusa aussi d'examiner ma pauvre petite sœur afin d'esquiver la délivrance du certificat médico-légal qui, selon lui, aurait été une arme accusatrice terrible qu'à aucun prix il ne voulait livrer contre son ami M. E... Ce matin (28 août 1926) lors de la visite des malades faite par ce médecin, la jeune Thi Va paraissait au plus mal, elle ne pouvait plus marcher ; malgré cela, elle fut mise à la porte de l'hôpital et reçut une telle gifle que le sang jaillit du nez. Je me propose de la faire visiter par un autre médecin, mais réussirai-je à Nam Dinh ?

NG. T. VANG, A apposé son diêm chi et son empreinte digitale. (Quartier de Dinh Tiên, rue Nang Tinh, ville de Nam-Dinh).

...............................................................................................................

Un quotidien de Hanoï insérait le 2 septembre cette tendancieuse information : NAM-DINH. La Grève. — La grève a éclaté a la « Cotonnière » de Nam-Dinh, le 30 août au soir. Des énergumènes, exploiteurs des derniers incidents, ont donc réussi, de nouveau, à amener un peu de désordre dans une firme. Mais si peu que l'on ne s'en aperçoit guère. Avec calme et sang-froid, la direction de la Cotonnière a laissé les grévistes « filer leur mauvais coton ». Lorsque le « bol de riz » sera moins consistant sur les estomacs des mécontents, ceux-ci reviendront d'eux-mêmes reprendre le travail. D'autant plus, qu'ils n'ont pas a se plaindre des procédés employés. […] 

[Autre version in Témoignages et documents français relatifs à la colonisation française au Viêt-Nam, Hanoï, 1945, pp. 38-40 d’après Louis Roubaud, Viêt-Nam, pp. 167-172]

Ce qui reste de la porte du "stade Cotonki". Le stade, lui, existe toujours

 

le stade de la cotonnière, en 1923 (photo de la famille). Au fond, on distingue clairement l'arrière de la maison de  la famille Dupré.

Pierre Thomas, Combat intérieur. 28 juin 1946 

"Nous sommes avisés que, dans les prochains jours, nous devrons quitter Nain Dinh pour Haiduong, localité située entre Hanoi et Haiphong. Vite, je cours à la Cotonnière, la célèbre fabrique de textiles de la ville, pour y acheter quelques tissus que je voudrais rapporter en France et offrir à ma fiancée. Le directeur de la Cotonnière avait, par faveur pour les militaires, autorisé la vente à prix coûtant de cotonnades, shantungs et voiles de soie. Je ne pourrai acheter qu'un seul coupon, car la vente est presque arrêtée à la suite d'abus, certains militaires s'en étant procuré de grandes quantités et les ayant revendues au prix fort à des commerçants chinois."

Filatures et tissages (Notes et études documentaires, 13 juin 1950)

"La Société Cotonnière du Tonkin, qui avait remis en marche en 1948 son usine de filature et de tissage de Nam Dinh, a dû surmonter de nombreuses difficultés pour maintenir sa production en 1949 par suite de la pénurie de la main-d'œuvre et de son isolement. Toutefois, la production de cette Société, ainsi que celle des Fileries de Haïphong, accusent en 1949 une augmentation sensible par rapport à l'année précédente : 1.200 t. de filés de coton ont été produites par les deux sociétés contre 270 tonnes seulement en 1948." 

Monsieur Tran Xuan Ket est directeur adjoint du projet et c'est à lui que l'on doit la mise en valeur de ce site; son grand père a participé à la construction de l'usine et son père y a travaillé. Merci à lui pour son travail !

 

Sommaire