Le Carmel en Indochine

 

 

L’histoire du carmel en Indochine est intéressante à plusieurs titres.

D’abord, c’est la deuxième congrégation religieuse féminine à être venue de France pour s’implanter en Indochine, dans les années héroïques de la colonisation. C’est d’autant plus étonnant qu’il s’agit là d’un ordre contemplatif. On imagine facilement la difficulté d’une telle implantation, dans un pays où tout est à faire..

Ensuite, c’est au petit carmel de Lisieux que l’on doit cette implantation. Ce carmel « missionnaire » va être à l’origine de la création de nombreuses implantations, en Indochine et ailleurs.

Enfin, son histoire est intimement liée à Sainte Thérèse de Lisieux qui a souvent évoqué son souhait de rejoindre cette terre de mission.

Cette page est réalisée grâce aux éléments réunis par Guy Gaucher, évêque auxiliaire émérite de Bayeux et de Lisieux, et présentés en 2007 lors d'un congrès missionnaire à Lisieux. Ainsi qu'un article paru durant la 2eme guerre mondiale dans la revue Indochine. Vous trouverez ces documents en bas de page. 

Merci à Diane Meissirel pour m'avoir fourni la documentation utile à cet article.

Création du Carmel de Saigon

 

Sœur Philomène de l’Immaculée Conception est la religieuse par qui tout est arrivé ! Après avoir fait profession au carmel de Lisieux le 8 février 1846, elle écrit à son cousin, Mgr Lefebvre, missionnaire au Vietnam depuis 1835. Mais celui-ci est à Hué, condamné à mort pour la deuxième fois par l’Empereur Thieu Tri.  Après quelques péripéties et 3 années, le missionnaire est finalement libéré et répond à sa cousine en invitant les carmélites de Lisieux à venir fonder un carmel dans son Vicariat ! Pour lui, la vie contemplative est indispensable en une terre où la mission est si difficile. Pour se justifier, il indique avoir entendu Sainte Thérèse d’Avila lui dire « Établissez le Carmel en Annam. Dieu en sera grandement servi et glorifié. »

   

Soeur Philomène, fondatrice du carmel de Saigon

 

 

Alors que le carmel de Lisieux n’a que 11 ans d’existence, la Mère Supérieure  de Lisieux se réjouit de cette demande et s’empresse de donner son accord …

La persécution catholique et l’instabilité ne  permettront pas de répondre immédiatement à ce souhait. L’attente durera 11 ans.

Elles sont 4 à partir. 4 religieuses de Lisieux dont, bien sur, la cousine de Mgr Lefebvre, Sœur Philomène, qui est nommée prieure. Leur départ ne passent pas inaperçu. Les 86 carmels de France les aident selon leurs moyens. Le Gouvernement a finalement accordé le passage gratuit aux quatre religieuses et à leurs 17 caisses de matériel sur un navire de l’Etat. Les journalistes de l’époque s’emparent de cette nouvelle inédite et exaltent le courage héroïque de ces « aventurières de Dieu en Cochinchine ».   

 

DominiqueLefebvre.jpg (67765 octets) Dominique Lefebvre, à l'origine de la venue des Sœurs en Indochine

 

Il s’agit d’une grand première : un carmel français va fonder en Asie. Les carmélites de Lisieux sont fières de constater que « le plus petit et le plus pauvre des carmels a été choisi pour implanter l’Ordre en Annam. »

Parties début Juillet, les sœurs fondatrices arriveront à Saigon le 9 octobre 1961. Le voyage avait duré 100 jours.

A cette époque, Saigon n’est pas encore une ville. Quelques milliers d’annamites, catholiques pour la plupart, vivant humblement dans des huttes en paille. A part la citadelle, à peine quelques maisons en dur.  

Mgr Lefebvre, radieux, les accueillent dans leur nouveaux « couvent » : une vaste case coupée en deux par un couloir : d’un côté les carmélites, de l’autre, les sœurs de Saint Vincent de Paul. Les Sœurs de Saint Paul les ont en effet précédé de quelques mois seulement. La grille de clôture fut une palissade de bois trouvée dans la case.

Rien n’a préparé les sœurs aux conditions de vie qu’elles découvrent : la barrière de la langue, la chaleur étouffante, le régime alimentaire, les bêtes et insectes qui vont et viennent à tout moment et l’insalubrité du lieu …Rester en vie à cette époque à Saigon pour des occidentaux est un exploit. Sans surprise, 3 mois à peine après leur arrivée, l’une des sœurs « craque » et demande son retour en France. Une autre sœur, gravement malade, fera de même.

 

 

L'intérieur de la chapelle de Saigon, de nos  jours.

En Février 1862, Mgr Lefebvre confie au missionnaire Roy la charge de construire un nouveau carmel.  Il fit prendre 70 000 briques dans la citadelle annamite démantelée par les Français, 40 000 tuiles et 400 belles pierres, se fit architecte et maçon avec des ouvrier autochtones qu’il dirigeait. . Trois mois plus tard, le couvent en dur se dressait sur son emplacement actuel et le 27 juin 1862, le Carmel de Saigon était érigé canoniquement. Un grand pas venait d’être franchi !

Le P. Roy ne fut pas seulement bâtisseur. Il s’investit dans la formation de cinq postulantes annamites qui ignoraient le français et plus encore le latin indispensable pour prier l’office. Il fallait aussi les initier à la vie carmélite, nouveauté absolue dans ce pays. Le 1er  octobre 1862, elles étaient sept. Plusieurs venaient de familles chrétiennes persécutées ou martyres.  

 

Le carmel de Saigon, face aux Soeurs de Saint Paul de Chartres et proche du séminaire. Rue Tôn Duc Thang, ancienne rue Luro.

En novembre 1863, on compte 14 postulantes, souvent illettrées. En avril 1866, il y en a 19.

L’atmosphère qui entoure  le carmel a aussi changé. Les missionnaires, non seulement admettent les carmélites, mais les admirent. La population les vénèrent. Un missionnaire leur dit : « Votre Ordre est celui qui convient le mieux à la femme annamite. Un jour la Chine aura des carmélites. »

En 1865, trois religieuses françaises arrivent enfin en renfort. Le Carmel doit construire pour s’agrandir. En mars 1871, Mgr Faurie, Vicaire apostolique en Chine, peut déclarer : « Le Carmel de Saigon est une fondation de Lisieux. Il va très bien, il est plus qu’au complet : 4 religieuses françaises, 15 ou 20 annamites, puis des novices, des postulantes et quelques sœurs tourières. Elles sont en tout une trentaine. » Le carmel avait  à peine dix ans. Le 9 décembre 1876, la chapelle est terminée et Mgr Colombert procède à sa bénédiction où se pressent 2 000 personnes. Le carmel de Saigon est définitivement établi.  

 

 

Vues du couvent de Saigon des hauteurs d'une tour environnante... le carmel se trouve à présent au cœur de la ville...

Création du Carmel de Hanoi

 

Mgr Gendreau souhaita établir dans son vicariat une communauté de carmélites. Ce souhait répondait parfaitement aux vœux du carmel de saigon qui souhaitait essaimer. Sœur Philomène prépare la fondation mais s’éteint épuisée à l’age de 75 ans en ce 24 juillet 1895. La vie continue. 9 religieuses arrivèrent à Hanoi le 9 octobre 1895, 34 ans après Saigon.  En juin 1896, elles prirent possession des premiers bâtiments définitifs. Les réticences observées à l’origine à Saigon ne se sont pas reproduites à Hanoi : le gouvernement français, les Dominicains espagnols et les donations de toutes sortes permirent de finaliser le carmel en moins de 5 ans.

 

Création du carmel de Hué

 

C’est Mgr Allys qui obtenu la création d’un carmel voulu par son prédécesseur. Ce carmel pris jour en octobre 1909, formé par un essaim venu de Hanoi et 2 sœurs annamites de Saigon.

 

 

 

 

 

 

 

 

Quelques photos des sœurs dans les années 50

 

 

 

 

Nouvelles fondations

 

Les 3 monastères se dédoublèrent par la suite. En 1919, Saigon fonda un monastère à Phnom Penh, au Cambodge. Celui créa à son tour un carmel à Bangkok en 1925.

 

Hanoi créa un carmel à Bui Chu au Tonkin en 1921.

 

Hué créa un carmel à Thanh Hoa en 1929.

 

Enfin, un groupe de carmélites envoyé par le carmel de Bordeaux établit un carmal à Phat Diem en 1939.

   

 

Le carmel de Phat Diem

 

Sainte Thérèse de Lisieux et l'Indochine

 

Entrée le 9 avril 1888 à quinze ans et trois mois au Carmel de Lisieux, Thérèse est évidemment imprégnée de l’esprit missionnaire qui régne dans ce carmel. L’une des religieuses de Saigon, Sœur Anne du Sacré Cœur, venue à Lisieux à sa demande, sera au contact de Sœur Thérèse pendant 7 ans.

Soeut Thérese évoque souvent son envie de partir en mission : Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus a toujours pensé qu’elle avait une vocation missionnaire. « Ce n’est pas pour vivre avec mes sœurs que je suis venue au Carmel… » (Ms C, 8 v°).

On avait envoyé quelques-unes des poésies de Sainte Thèrése aux Sœurs de Saigon. Mère Thérèse du Cœur de Jésus avait répondu « qu’on serait encore plus heureuses de recevoir l’auteur de ces poésies. » (Mss II, p. 61)

Dans ces écrits, Thérèse parle d’abord de Saigon, considéré comme la Maison Mère. Mais quand on pensa à fonder Hanoi, elle se met aussi à en parler. Avec prudence, les sœurs d’Annam sachant la santé fragile de sœur Thérèse, préfèreraient pour elles le climat plus sain d’Hanoi.

Malgré ses soucis de santé,  quelques indices montrent qu’elle n’a pas totalement renoncé au départ : dans le poème composé spontanément le 2 février 1897 en l’honneur du martyre de Théophane Vénard :

            « Je l’aime aussi, cette plage infidèle

            Qui fut l’objet de ton ardent amour

            Avec bonheur, je volerais vers elle

            Si le bon Dieu m’y appelait un jour... 

 Quand elle sera gravement malade, elle parlera encore de cette hypothèse d’un départ, dans les Derniers Entretiens.

Ainsi le 15 mai : « Je voudrais bien aller à Hanoi, pour souffrir beaucoup pour le bon Dieu. Je voudrais y aller pour être toute seule, pour n’avoir aucune solution sur la terre. Quant à la pensée de me rendre utile là-bas, elle ne me traverse même pas l’esprit, je sais très bien que je ne ferai rien du tout. » (CJ 15.5.6)

Il n’est évidemment pas neutre que la grande malade ait voulu accrocher aux rideaux de son lit une relique du martyr du Tonkin, son grand ami Théophane Vénard. Tous les soirs elle lui fait des caresses (CJ 11.9.5). Et dans la chaleur de l’été elle s’évente et chasse les mouches avec un écran de paille jaune envoyé par le Carmel de Saigon (CJ 30.7.11). Jusqu’au bout, ses pensées vont vers ce lointain pays.

Finalement, sœur Thérèse de l’Enfant Jésus de la Sainte Face ne sera jamais partie en mission. Mais avec sa Béatification (1923), sa Canonisation (1925) et sa proclamation par Pie XI – le Pape des missions – de son patronat universel des Missions (14/12/1927), elle a consolidé des liens puissants entre Lisieux et les Carmels d’Asie. Ils se développeront merveilleusement à partir de la petite graine de Saigon. D’autres difficultés naitront à l’arrivée des Communistes en 1975. Les Carmélites se regrouperont au Québec, aux Carmels de Danville et de Dolbeau.

Les sources ...

Conférence faite en 2007 par l'Evéque Auxilaire Guy Gaucher  (texte word)

LA FONDATION DES CARMELS DE SAIGON ET D’HANOI

Schéma de l'histoire des carmels de l'Indochine (.jpg)

HistoireCarmelIndochine.jpg

Articles parus dans la revue Indochine : Carmel  Carmel2

 

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