Anne
Laure Poree de notre partenaire The Phnom Penh
Post
Traduit par LePetitJournal.com-Cambodge mercredi
4 mars 2009
En vue de l’adaptation de son
roman autobiographique des années 50 Un
Barrage contre le Pacifique le réalisateur cambodgien Rithy Panh
est revenu sur les pas de Marguerite Duras. Cette femme, née à Saigon et dont
toute l’enfance s’est déroulée dans l’Indochine du Protectorat français,
entourée de sa mère et de ses deux frères.
En filmant Un barrage contre le pacifique
au Cambodge, là même où Marguerite Duras a passé la plupart de ses vacances
et weekends jusqu’à l’âge de 17 ans, Rithy Panh a visité les
villages, qu’il qualifie de "territoires
du souvenir". Ses recherches l’ont mené au village de Samong Leu,
district de Prey Nup. C’est ici, à proximité du Parc national de Ream, dans
la province de Preah Sihanouk que Duras et sa famille ont habité. En bordure de
la nationale 4, et 184 kilomètres au sud-ouest de Phnom Penh, seule une plaque
commémorative installée il y a quelques années, indique que la romancière a
résidé ici de 1925 à 1933.
"J’étais terrifié
par les Français"
Le village de Samong Leu n’est pas facile à trouver. Aujourd’hui, seuls les
anciens se remémorent la famille française qui venait passer des vacances
ici… il y a bien longtemps. Ces anciens étaient encore enfants lorsque Duras
et sa famille résidaient au village, mais ils se souviennent de la mère de Mme
Duras comme de la ''srey barang'', la femme blanche : madame Donnadieu.
"J’habitais la porte à côté"
se souvient Kong Phal, dont l’âge et le visage ridé complètent l’air espiègle,
"J’étais terrifié par les Français.
Les plus vieux nous disaient "ne leur parlez pas ou ils vous kidnapperont
!"". Ces avertissements n’empêchèrent toutefois pas Kong
Phal de jouer avec le fils de la srey barang. "Nous
partions à la chasse ensemble. Il avait un fusil, et moi un lance-pierre. Il
nous arrivait de trouver des œufs de dinde... Il m’a appris quelques mots de
français, mais je les ai oubliés depuis. J’avais peu de relation avec la
fille (Marguerite Duras) sauf lorsqu’elle me demandait quelque chose".
Ici, dans le village Cham de Samong Leu, personne ne travaille plus dans la
maison en bois de la femme blanche. Mais tous les anciens se souviennent de Ngou,
le vietnamien à la fois contremaître et chauffeur de la décapotable familiale
que l'on retrouvera mort dans les toilettes. Racontée par l’Imam, cette
disparition soudaine et dans un lieu insolite fait encore rire aux éclats les
villageois.
Des mémoires qui durent
Kong Phal se souvient également précisément du grand pavillon familial, avec
son long corridor et son grenier à riz, ou encore de la rivière poissonneuse
dans laquelle la famille se baignait souvent. Il est toutefois difficile
aujourd’hui d’imaginer à quoi ressemblait le village d'antan. Il ne reste
de la maison que les piliers. La rivière est depuis asséchée et une route
traverse le village.
Dans les années 40, plusieurs villageois ont travaillé sur le projet de
polders, appelés alors "casiers", que des ingénieurs français ont
entamé pour la construction d'un barrage. Ceci, afin de récupérer des terres
agricoles sur la mer. Si ceux qui n’avaient pas encore payé leurs taxes
devaient travailler gratuitement, d’autres comme So Son percevaient un
salaire. "Je gagnais une pièce rouge par
jour. Un "thang", 24 kg de riz, valait alors 0.60 riels"
se rappelle So Son. Ces digues étaient le rêve de la srey barang, madame
Donnadieu, qui avait acheté 200 hectares à l’administration française. Une
large part de ces terres restant toutefois inexploitables dues aux inondations
annuelles d’eau salée qui les rendaient impropres à la plantation de riz.
Combattre les marées
En dépit de ces difficultés elle a cultivé ses terres de 1927 à 1938.
Un Barrage contre le pacifique raconte
cette lutte pour la protection de ces terrains et les difficultés à construire
des digues contre la mer. La pauvreté, qui a frappé la famille alors que la mère
tentait qu'à cela ne tienne de développer ses terres, a profondément marqué
la jeune Duras qui plus tard en fera un roman.
Rithy Panh a choisi de conclure son adaptation cinématographique sur ce rêve
devenu aujourd’hui réalité. La Seconde guerre mondiale, la lutte pour
l’indépendance, et plus tard le régime Khmer Rouge expliquent qu’il ait
fallu attendre les années 90 pour connaître un regain d’intérêt pour les
polders de Prey Nup. Plusieurs études ont conduit au chantier de réhabilitation
des polders en 1998 avec le soutien financier de l’Agence Française de Développement
(AFD). Il s’agissait de contrôler les eaux à une grande échelle par la
construction de digues, de canaux, et de vannes, mais aussi en confiant la
gestion du projet aux communautés locales.
Un rêve aujourd'hui réalisé
Dix ans plus tard, 10.500 hectares de terrain sont désormais protégés de la
mer, et les effets sur la communauté sont clairement visibles. "En
augmentant les revenus d’un grand nombre de foyers de la région, et en aidant
les plus démunis parmi ces foyers ruraux, le projet a réduit la pauvreté"
a conclu une étude menée par le GRET (Groupement de Recherches et d’Echanges
Technologiques), une des ONG qui a participé au projet. La gestion des
polders a été confiée aux cambodgiens il y a seulement quelques semaines. Il
leur revient désormais de maintenir les polders, et leur viabilité.
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