Le dernier Empereur, Bao Daï

 


Livre introuvable aujourd'hui, La Dragon d'Annam a été publié en 1989. C'est un éclairage intéressant sur la vie et surtout la personnalité de Bao Dai. Son enfance dans la solitude du Palais, ses études en France où il découvre notamment le sport, la mort de son père (l'Empereur Khai Dinh), le poids des responsabilités alors qu'il n'est pas encore adulte.

On y découvre surtout son regard critique sur les français, qui l'empêchent de gouverner comme il le souhaiterait. Il ne désire qu'une chose, finalement, c'est le départ de la France et l'indépendance de son pays. Les japonais lui en donneront l'occasion, qu'il n'hésitera pas à saisir. 

C'est enfin l'histoire rocambolesque de l'abdication, en réponse au "Comité Populaire de Hanoi". Il ne sait pas qui ils sont, mais il va quand même leur apporter sur un plateau son soutien ! Il faut lire ces pages étonnantes...

 

Quelques dates :

- né le 22 octobre 1913, décédé le 31 juillet 1997,

- intronisé le 8 janvier 1926, à l'age de 12 ans,

- Retour dans son pays en Septembre 1932,

- épouse en 1934 Nam Phuong,

- 11 mars 1945, donne lecture d'un acte d'indépendance du Tonkin et de l'Annam ; Le 14 avril, il annonce l'annexion de la Cochinchine. C'est la réunification du Vietnam.

Extraits

Éducation

"Tous les jours mon précepteur, un mandarin lettré venait m'enseigner, à travers les entretiens de Confucius, les devoirs et charges du Prince. Pendant 4 ans, j'ai ainsi vécu seul, prenant mes repas seul, au rythme d'un programme immuable ou chaque journée était identique à la précédente.

Une à deux fois par mois, j'étais autorisé à assister à repas que prenait mon père [l'empereur Khai Dinh]. Plus rarement, alors qu'il se rendait à la Résidence Supérieure, il m'emmenait avec lui. J'avais le loisir de m'amuser avec les enfants du Résident Pasquier, qui parlaient couramment  la langue vietnamienne.

Pendant cette période, je n'ai jamais eu de jouet."


Le Prince Héritier sur le trône

 

"D'ailleurs, contempler la nature, ainsi que je le faisais tous les jours, c'est jouer avec l'univers tout entier. Comme mes études, mes jeux étaient graves, emprunts de respects pour l'ordre établi.

Parfois, à l'occasion d'anniversaires, je pouvais me rendre au palais des reines, situé de l'autre coté que celui de l'empereur, et bordé" d'un mur aveugle. Chaque épouse royale y disposait d'un appartement royal. L'impératrice douairière y occupait la 1ere place. Dans ces occasions, j'allais la saluer suivant un cérémonial très strict, ne lui parlant qu'a genoux, alors qu'elle se tenait quasiment invisible derrière un rideau de fin bambous. Le palais des femmes comptait encore quelques eunuques, et de nombreuses servantes, chaque épouse royale disposant d'un nombre de domestique proportionnel au rang qui lui était attribué. Ces servantes me préparaient de somptueuses collations qui faisaient diversions dans la nourriture assez spartiate que l'on me servait tous les jours. [..] 

Certes, ce régime d'ou tous les exercices physiques étaient proscrits, n'était guère sain pour un jeune enfant. Il explique d'ailleurs à lui seul la mortalité précoce d'un grand nombre de princes. Mon grand père est mort à 25 ans, son frère à 14 ans. A 9 ans, je pesais à peine plus de 20 kilos."

Intronisation

"Un soir de novembre 1925, M. Charles m'attend à la sortie des cours.

Mon cher Vinh, j'ai une nouvelle bien triste à vous annoncer. L'empereur Khai Dinh est mort avant hier  [25 novembre 1925]. Vous allez partir pour assurer la succession de votre père. [..]

J'avais 12 ans.


L'Empereur Khai Dinh au travail

"Nous arrivons à Hué à la fin du mois de décembre. Mon caractère s'est affermi mais je suis préoccupé par la succession. Avant de mourir, mon père a exprimé sa volonté de me voir poursuivre mes études en Europe. Les autorités française consultés par la cours de hué ont donné leur accord. Le Conseil d'État ou secret a donc nommé un régent qui exercera le pouvoir jusqu'à mon retour. [..] 

Quelques jours après que furent prises ces dispositions, le 8 janvier 1926, à la date fixée par les astrologues comme la plus favorable ont lieu mon couronnement. 

La veille, je me suis rendu dans le palais de Can Chanh, pour y recevoir les ornements royaux. On m'a revêtu de la propre tenue de l'Empereur Gia Long, fondateur de notre dynastie. Cette tenue est précieusement conservé comme une relique et ne sert que pour les cérémonies de couronnement. Tunique jaune, décorée de broderie d'or, avec les bottes assortis, chaussures en forme de cothurnes à semelle épaisse dont la pointe se relève, puis la coiffure, sorte de tiare à fonds de crin, ornée de broderie et de pierres précieuses.

L'un des 4 membres du Comat m'a alors remis la plaque d'or, "ordre royal", qui est accroché au coté droit de la tunique, un très haut mandarin m'a présenté, de la part de la Cour, le Livre d'Or, ouvert au commencement de chaque règne, sur lequel sera inscrit le nom que je porterai dorénavant : Bao Dai, qui signifie "le protecteur de la grandeur"."


Le sceau de Bao Dai (en 1950)

 

Retour en Annam

Quelques années plus tard, en 1932, Bao Dai rentre dans son pays. Il se pose alors la question de son rôle :

"Quels seront mes prérogatives ?

Après la mort de Khai Dinh en 1926, une convention a été passée avec la France, à la suite de laquelle le conseil se plaça sous la présidence du Résident Supérieur, à qui nous rendons compte et présentons nos propositions". Les décisions sont prises par le Résident Supérieur et son cabinet, en particulier pour tout ce qui concerne le budget.

- personne ne m'a jamais parlé de cette convention. Si j'avais été mis au courant, je ne l'aurai jamais acceptée.

- Sire, elle a été signée par le Conseil de Régence. Pratiquement, elle a transféré au Résident Supérieur les dernières attributions du Gouvernement Impérial aux plans politiques et judiciaires. Pour le Tonkin, c'est la Résident Supérieur du Tonkin qui exerce désormais les prérogatives de vice roi."

Voyage organisé au Tonkin

Il a alors 19 ans. Un voyage est organisé peu après son retour au Tonkin, pour faire visiter à l'Empereur une région qu'il n'a jamais vue. Des réceptions sont organisées à Hanoi. Visite des mines de Hon gai. 

"Pour moi, ce sont les français qui me font découvrir mon pays et, au cours de ce voyage, je fais un peu figure de vassal de la France.[..]  Ce voyage m'a incontestablement révélé une nouvelle dimension de mon pays. Les possibilités industrielles du Tonkin devrait faciliter son accession au rang des nations modernes. [..] Je n'en reviens pas moins assez déçu de ce séjour. En effet, j'ai encore mieux ressenti à Hanoi, où j'ai étais reçu en invité alors que j'étais chez moi,  combien est infime le rôle qu'on attend de moi. Tout ce qui concerne, en fait, la vie quotidienne, l'avenir de mon pays et de mon peuple m'est interdit. Je ne suis plus qu'un personnage de théâtre qui apparaît de temps en temps sur la scène mais qui ne mène pas le jeu."


La cité impériale

Tentative de réformes

"Le 10 septembre 1932, je fis publier une ordonnance dans laquelle je déclarais ma volonté de gouverner avec le concours du peuple, sous la forme d'une monarchie constitutionnelle, et de réformer tout ce qui avait besoin de l'être : le corps mandarinal, l'enseignement et la justice.

Cette déclaration obtint un très grand succès dans la population, notamment dans la jeunesse vietnamienne qui attendait un changement.  [...]

L'avenir se présentait sous d'heureux auspices. Je savais qu'il ne fallait rien brusquer si je ne voulais pas subir le sort de certains de mes prédécesseurs.  [..]

C'était mal connaître l'administration française, ce que l'on appelait "les services civils". Appuyés par les milieux nationalistes, ils opposèrent aussitôt une sourde résistance à toutes tentatives de réformes. Pourtant celles ci étaient indispensables. Il faut savoir qu'à cette époque, si un Annamite était admis à égalité de titres dans les cadres de l'Administration, comme les français, il était loin de percevoir le même traitement. Ainsi, un gouverneur de grande province [...] gagnait moins qu'un simple agent de police européen engagé à Hanoi. Dans ces conditions, il était inévitable que pour tenir leur rang et ne pas perdre la face,  certains mandarins fussent pousser à abuser de leur situation auprès du peuple. [..] Elles avaient aussi une autre conséquence, non moins grave : elles provoquaient le découragement des meilleurs éléments [..].

Une lutte pied à pied s'engagea pour tenter de reprendre quelque unes des décisions qui avaient pratiquement vidé le traité de protectorat de son contenu. L'Administration fut la plus forte, et toute tentative fut paralysée."

Au bout de quelques mois, les deux proches collaborateurs engagés par Bao Dai présentèrent leur démission, faute de pouvoir de réformer quoique ce soit.

Déception confirmée

 "Vous m'avez dit que mon père était revenu très déçu de son voyage en France de 1922. Maintenant, au bout de 18 mois de présence ici, j'éprouve la même déception. De  ses conversations à Paris, mon père avait espéré obtenir le retour au régime réel du protectorat. Moi, j'ai cru pouvoir réaliser des réformes qui auraient abouti au même résultat. Tout a été vain. J'en arrive à penser que les nationalistes ont raison.[..] Malraux disait: "il est difficile de concevoir qu'un annamite courageux soit autre chose qu'un révolutionnaire".

Bao Dai est un grand amateur de chasse. Il aime aussi les longues promenades solitaires au cœur de la forêt. Faute de pouvoir réformer son pays, il passera de plus en plus de temps aux loisirs (chasse, yachting, bateau à moteur, cheval, golf, tennis)

La 2eme guerre mondiale

"Contrairement à ce qu'on a pu croire, la défaite de la France en juin 1940 n'a pas provoqué au Vietnam un relâchement des liens qui existaient entre les deux pays. En réalité, le peuple vietnamien éprouvait une grande compassion à l'égard des malheurs qui frappaient la nation protectrice et la population n'a peut être jamais été aussi proche de la Communauté française qu'à cette époque là. Ainsi, lorsqu'il fut fait appel à elle, répondit elle avec générosité à toutes les collectes organisées par le Secours National. Sans doute y avait il dans cette attitude du peuple vietnamien l'espoir que plus tard la France, en retour, accomplirait un geste en faveur du Vietnam et de son indépendance."

Bai Dai à l'occasion de la fête du Serment à Ban Me Thuot, en 1950.

Coup de force des japonais

L'ambassadeur du Japon en Indochine s'entretient, le 9 mars 1945, avec l'Empereur ;

" Le Japon a été contraint de prendre les affaires en main en Indochine en raison des activités subversives de la résistance française. Celle ci recevait des armes et avait l'intention de géner les mouvements de notre armée". L'ambassadeur précise "Nous voulons redonner l'Asie aux Asiatiques".

Puis l'ambassadeur ajoute :" Je suis chargé de remettre à votre majesté l'indépendance du Vietnam". [..]

"Puis je donc laisser passer la proposition qui nous est offerte ? L'indépendance, c'est le rêve de tous les vietnamiens !" En toute connaissance de cause, je prends ma décision : il faut savoir saisir l'occasion tout en essayant de réduire au minimum les exigences et les ingérences".

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=> l'indépendance est donc proclamée le 12 mars 1945.

A l'issue du cessez le feu des japonais : "Je suis moi même profondément ému. L'œuvre que mes ancêtres n'avaient pas pu faire aboutir, je l'ai conduite à son terme. Le Vietnam est réunifié et indépendant". Les souffrances endurées par mon peuple n'ont pas été vaines."

Il écrit à de Gaule : "Vous avez trop souffert pendant 4 ans pour ne pas comprendre que le peuple vietnamiens qui a 20 siècles d'histoire et un passé souvent glorieux ne veut plus, ne peut plus supporter aucune domination, ni aucune administration étrangère."

Abdication  

"Devant la volonté  unanime du peuple vietnamien prêt à tous les sacrifices pour sauvegarder l'indépendance nationale, nous prions respectueusement votre majesté de bien vouloir accomplir un geste historique en remettant ses pouvoirs". Signé : le comité de patriotes représentant tous les partis et toutes les couches de la population..

Ils veulent une révolution, je vais la faire mais sans verser le sang, par une évolution politique. Si l'on tient compte de l'histoire des peuples, il n'y a qu'une seule solution : mon départ."

Ceux qui l'ont rédigé sont des patriotes qui veulent comme moi l'indépendance et l'unité du Vietnam. Il ne aucune idée de qui se cache derrière les signataires. "Ils ont des contacts, des moyens, des armes ; je n'ai rien".

Bao Dai est d'accord pour abdiquer. Mais à qui renvoyer la réponse ? Qui est ce fameux "comité de patriotes" ? Les conseillers se renseignent, mais reviennent bredouille. "Alors je lance un message dans le vide, comme une bouteille à la mer" Par télégraphe, je m'adresse au "Comité des patriotes" à Hanoi.

"Répondant à votre appel, je suis prêt à m'effacer. A cette heure décisive de l'histoire  nationale, l'union signifie la vie, et la division la mort. Je suis prêt à tous les sacrifices pour que cette union puisse se réaliser et demande aux chefs de votre Comité de venir le plus tôt possible à Hué pour le transfert des pouvoirs".

"Leur incontestable succès n'est il pas le signe qu'ils ont reçu mandat du ciel ?".

"Indépendance pour la patrie, Bonheur pour le peuple. Pour ces 8 mots et pendant 80 ans, tant de nos frères et de nos sœurs ont sacrifié leur vie dans la jungle, les forêts et les prisons que, comparer aux sacrifices de ces milliers de héros et d'héroïnes, mon abdication n'est qu'une très petite chose."

"Enfin libre !"

"Maintenant, il fait que le peuple se serre les coudes autour d'une équipe apparemment plus capable que moi de réaliser l'indépendance."

Quelques heures après, suite  à la déclaration d'indépendance du Vietminh, il déclare "Cette proclamation comporte un réquisitoire contre le colonialisme française dont la violence me surprend ..."

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Le 31 juillet 1997, le dernier Empereur du Vietnam meurt à Paris. Il est enterré au cimetière de Passy. Il faudra néanmoins attendre le 20 mai 2006, soit presque 10 ans, pour que le dernier Empereur ait droit à un monument funéraire au lieu d'une simple plaque de béton...

 Voir http://www.lesmanantsduroi.com/articles/article27118.php

 

 

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