" Un dê laï des courriers
du Tông-Dôc de Sontay traversait à lallure la plus rapide les rues serrées de
lancienne cité, du côté du quartier de Hoan-Phô, où les marchands de sel et de
saumures avaient leur demeure.
Ayant abandonné la grande voie qui mène à la porte
dHanoï, il avait parcouru successivement la rue des Poissons, la rue de Tuan-Hoan,
la rue du marché, et ne sétait arrêté quaux fortifications, pour se
diriger vers la Dinh-Nghé, la grande pagode populaire du Sontay extérieur. Son large
vêtement de flanelle rouge brodé de têtes de dragons bleus, flottait aux angles du
chemin, sous le halètement de sa course; ses cheveux pendaient à son dos ; il
serrait sous son bras son turban dénoué.
Au bout dun grand bâton blanc qui lui servait de
caducée, était suspendu, par un ruban de moire jaune, un papier . impérial, tramé
dargent, rempli de larges cachets et de hauts caractères.
Un linh essoufflé courait par derrière, en tapant à coups
précipités sur un petit gong de bronze.
A la vue du courrier, porteur de limpérial symbole, et
du plus loin quils lapercevaient, les Annamites sinclinaient,
nosant regarder en face ce que le roi avait signé: si respectueux de la majesté
royale, quils ne prononcent jamais le nom du souverain, et que, en parlant de lui,
ils disent : le dessous du Trône ", nosant pas même faire allusion
à celui qui est dessus.
Puis le courrier éloigné, ils couraient en foule sur ses
traces, anxieux de la nouvelle importante que cet édit renfermait, car on naffiche
pas, pour de vains motifs, lordre dun Empereur dExtrême-Orient. Arrivé
à Dinh-Nghé, dont la porte immense, en bois de fer noirci par les siècles et cloutée
de clous dor, regarde lOrient, le courrier, après avoir présenté
lédit aux quatre coin de lhorizon, pour indiquer que chacun devait en prendre
connaissance, lattacha à des clous dor, et, toujours courant, disparut dans
la direction doù il était venu.
Le peuple sétait arrêté au bas du monticule que
couronnait la Dinh-Nghé. Il était très matin, et les gens se pressaient, distrait, par
la curiosité du sommeil de la dernière heure ; linquiétude des bruits de
guerre qui depuis longtemps couraient dans le pays - comme court sur leau, sans la
rider même le premier souffle de la tempête, - les saisissait au cur, et les
trouvait au réveil, comme elle les avait laissés sendormir , haletant aux moindres
nouvelles, et hâtif de démêler le vrai.
Cétait bien la forme du rescrit de Hué: un grand
papyrus rectangulaire, jaune dor, avec, dans sa trame soyeuse les dessins argentés
et les filets métalliques représentant le dragon à cinq griffes, et les caractères
hiératiques du nom impérial : de grandes colonnes de lettres, des cachets du Comat
et des Colonnes; en bas, le grand sceau impérial frappé au minimum, étalait la
signature souveraine. Le grand édit, pendu à la porte par la bande de moire, se
balançait au vent du matin.
Peu de gens savaient lire lécriture en caractères, et
lignorance ajoutait encore au respect fanatique pour lexpression tangible de
la volonté sacrée. Nul donc ne bougeait quand un lettré, bien reconnaissable à son
profil pâle et émacié, à ses lunettes chi noises et à sa longue robe de soie, monta
le petit mamelon, immédiatement suivi par toute la foule, et, lentement, lut - avec les
intonations bizarres et chantantes des caractères transcrits - au peuple assemblé, la
volonté de son empereur : "