Une Ambassade Française à Hué en 1874

A cette époque, la France occupe la seule Cochinchine. L'instabilité du Tonkin, dûe à la présence de plus en plus nombreuse de bandes de pillards chinois, pousse Tu Duc à conclure avec la France un traité d'alliance. Ce traité sera négocié à Saigon puis échangé à Hué. L'Amiral Dupérré, gouverneur de la Cochinchine, va déléguer ses pouvoirs à une "ambassade" qui aura pour mision de remettre à l'Empereur l'exemplaire du traité et, en audience solennelle, les insignes du grand cordon de la Légion d'Honneur et les cadeaux du gouvernement Français.C'est la troisième fois au cours de l'histoire que la porte de l'Empereur s'ouvre à des ambassadeurs français : c'est pourquoi cet épisode a fait l'objet d'un descriptif précis dans la revue "Le Tour du Monde" datée du 26 janvier 1878.

Les dessins et gravures sont signés de J.Lavée, E. Ronjat, Th. Weber et  P. Kauffmann d'après des croquis de Monsieur  le baron Brossard de Corbigny.

Le récit de l'ambassade sera complété ultérieurement.

"L'Ambassade se compose de 6 "envoyés", et d'une escorte de 10 matelots et de 25 soldats d'Infanterie de Marine.

Le 4 avril 1875, les croiseurs le Duchaffaut et l'Antilope (dessin) embarquaient à Saigon la mission diplomatique. Peu de jours après, ces deux vapeurs mouillaient dans la belle rade de Tourane, aujourd'hui presque déserte car on n'y compte guére que deux ou trois navires délabrés à l'ancre dans une crique de la rade, et qui représentent la majeure partie de la flotte de guerre actuelle des annamites"

 


 

Porte de la citadelle de Hué.

 

Au milieu d'une grande cour, s'élevent les autres logements préparés pour la mission.[...]Plus loin, dans la cour, d'autres maisons abritent l'escorte, et même un petit théatre, grand comme la main, servira aux représentations de quelque pièce du répertoire classique.

 


 

Mirador ou poste de vigie, au bord de la rivière de Hué.

 

La ville commerciale de Hué est distincte de la ville officielle ou l'enceinte fortifiée; La ville n'est reliée à la citadelle que par des ponts de bois faciles à couper. Une ou deux très longues rues, très mal entretenues, forment à peu prés tout le village.

 


Le soir même commence les visites officielles. Dans ces entrevues, tout mandarin se fait porter en hamac et suivre d'une escorte, sans oublier le parasol toujours déployé au dessus de la tête du dignitaire.[...] En tête de cortége, un courreur écarte les passants à coups de rotin et, par derriére, un groupe de suivants portent les objets indispensables à tout Annamite aisé : la pipe incrustée, la boite à bétél, du papier, l'écritoire, le service à thé. Si le chef est militaire, il se fait précéder, en outre, de son sabre au fourreau de bois incrusté de nacre."

 

 


 

Plan de réception de l'Ambassade française (14 avril 1874).

 

 


 

"Le grand costume de mandarin ne se porte que dans des circonstances solennelles.

Pour les 4 premiers des neuf grades de la hiérarchie, c'est une grande robe à vastes manches, en soie brodée d'animaux et de dessins fantastiques de toutes couleurs. Dans la robe des civils, se trouvent le dragon, la grue, la tortue. Pour les militaires, c'est le tigre qui étale surtout sa figure farouche. Toutes ces étoffes sont faites en Chine. [...] Sur la coiffure, s'étalent deux ailettes étroites et longues d'un pied. Elles sont en gaze, brodées de fils d'or, et ressemblent assez aux ailes lègéres des libellules. [...]

 

 

"Dans les 5 derniers rangs des mandarins, le costume est en soie noire mate. Sur la poitrine, un carré brodé tantôt d'une grue, tantôt un tigre, indique la classe du lettré; le bonnet sans aillettes se rabat en arrière comme un bavolet et ses armements sont argentés. "

 

 

 

 

L'ornementation de nacre. Les Tonkinoius ont seuls le secret de ces travaux. Non seulement les arts et l'industrie ne recoivent du gouvernement aucune impulsion, mais ils trouvent de sa part que des entraves décourageantes. Un ouvrier adroit est aussitôt signalé au gouverneur de la province et envoyé d'office à Hué par le mandarin. On l'installe dans la citadelle et son travail et sa liberté sont devenus choses du roi : autant vaudrait le travail de la prison. Aussi Hué ne produit absolument rien, en dehors des objets usuels les plus vulgaires.

 

Deux annamites.

Les lois somptuaires défendent le peuple de porter de la soie. Au souverain seul est affectée la couleur jaune vif (papier, ses gens, ses éléphants, les drapeaux, les parasols ..). Aux mandarins de haut rang revient le rouge (pantalon, hamacs..). Enfin le bleu est laissé aux fonctionnaires inférieurs.

Les portes du milieu sont exclusivement réservées au passage du souverain; seul aussi il peut chasser dans la province de Hué. Il n'y a que lui qui puisse avoir des éléphants privés ; Les rites défendent également, sauf au roi, de faire construire des maisons de deux étages. On ne doit jamais prononcer ou écrire certains caractéres affectés au roi. D'autres ne doivent pas être employés non plus à l'égard des mandarins, s'ils entrent dans l'orthographe de leur nom...

 

"Des mandarins nous attendent au débarcadére, à l'ombre de leurs grands parasols, entre deux haies de soldats armés de lances à drapeaux triangulaires, bariolés de toutes les couleurs.Le peuple se presse alentour dans une muette curiosité. Presque toute cette population n'a jamais vu d'Européens, à part les missionnaires."

 


 

L'éléphant de parade, à Hué.

 

 


 

"Le 9 avril au matin, nous laissons le Duchaffaut, trop grand pour entrer dans la rivière de Hué, et nous faisons route sur l'Antilope, pour la barre de Tuan-an, port de la capitale annamite."

[...]" Nous recevons la visite des mandarins du lieu. Ces visites et toutes les autres pendant la durée de l'ambassade ont été prévues et arrétées à l'avance. On sait en effet que, en extréme Orient, ces usages d'étiquette sont d'une grande importane; ils occupent à Hué un ministére tout spécial. Le ministre des rites est le gardien des traditionss, il décide sur les cas nouveaux, il fait respecter au roi lui-même les usages consacrés. "

 

 


 

"Un indice bien curieux de la profession de lettré consiste à pouvoir exhiber des ongles démesurés, surtout à la main gauche ; ces appendices atteignent parfois 25 cm de longueurs; un seul doigt reste privé de cette excroissance : c'est, dit-on, pour se gratter !"

 

 


 

Soldats annamites.

 

 

Le sceau royal de Ming-Mang (1820) (10*10 cm).

Même s'il peut faire tomber des têtes d'un mot, le roi n'en demeure pas moins le premier esclave du royaume. Fils du ciel sur la terre, espèce de divinité pour ses sujets, le respect le plus profond acceuille les manifestations du demi-dieu. A chaque déplacement, le vide se fait autour de sa personne, car le regard des habitants souillerait la majesté royale. Comment, dans ces conditions, peut il apprendre la vérité sur les choses de son royaume ?

Le roi d'Annam n'est donc qu'une idole, et ses minitres-mandarins peuvent s'opposer aux actes les plus simples.

 


 

Décoration du roi de Hué, en or. Face : "Tu Duc" , Revers : "Pratiquer la vertu, cultiver la concorde", ou une sentence analogue suivant le destinataire.

 

 

 


 

Les femmes annamites sont traitées avec douceur ou du moins sur le pied d'égalité par leur mari.

 

 


 

Costumes de théatre, à Hué : chefs guerriers.

 

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